Par Étienne Godin
Michaël Nguyen est de tous les combats dans l’univers des médias d’information québécois. Journaliste judiciaire de renom au Journal de Montréal, il arpente jour après jour les couloirs du palais de justice, à l’affût des dernières actualités en matière criminelle. Il porte aussi les chapeaux de président sortant de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) et de président du syndicat des travailleurs de l’information du Journal de Montréal. En fait, sa feuille de route est si bien garnie qu’on en oublie parfois qu’il est un fier diplômé du certificat en journalisme de la Faculté de l’éducation permanente (FEP) de l’Université de Montréal. De passage dans les locaux de la FEP le 13 septembre dernier pour souligner le 50e anniversaire du certificat, M. Nguyen a accepté de répondre à nos questions.

Parlez-nous de votre parcours d’ancien étudiant au certificat en journalisme à la FEP. Qu’est-ce qui vous a marqué dans cette formation et vous a été le plus utile en début de carrière? Qu’en retenez-vous?
Après avoir étudié la littérature française et la philosophie, j’ai particulièrement aimé le fait qu’au certificat en journalisme, tout le monde avait un background de vie, une expérience préalable. Il y a aussi des chargés de cours qui m’ont marqué durablement [en 2010]. J’ai beaucoup apprécié Blanche Wissen, qui donnait à l’époque le cours de presse écrite. Son enseignement était très pratique. Ça m’a beaucoup aidé parce que, dès le début, je savais que je voulais travailler pour la presse écrite.
Je n’ai pas suivi les cours de presse radio ou télé, parce que j’ai eu la bonne – ou la mauvaise – idée de mettre tous mes œufs dans le même panier, ce que je ne recommanderais à personne. Je n’avais pas la diction, à ce moment, pour faire de la radio, et je savais que je n’avais pas la gueule pour faire de la télé. J’ai donc tout misé sur le journalisme écrit.
Puis, il y a eu Bernard Faucher [du cours Méthodes journalistiques], qui m’a appris la rigueur et l’humilité. Je me rappelle encore d’une phrase qu’il a dite, au détour, et dont il ne se souvient peut-être même pas.
« Pour avoir une carrière de journaliste, il est important de rester humble. » – Bernard Faucher
Ça m’a énormément marqué, car ça fait 12 ans que je suis journaliste, et je le vois. Personnellement, j’ai toujours été humble. Ça fait partie de mon héritage culturel. Mais c’est une réalité dont je suis témoin aujourd’hui. Je vois des jeunes très prometteurs, qui étaient sans doute les meilleurs de leur cohorte, mais qui ne comprennent pas que lorsqu’on arrive sur le marché du travail, on commence au bas de l’échelle. Et le problème, c’est qu’ils se sont fait dire qu’ils étaient bons. Alors, ils prêchent par l’arrogance, et ça cause leur perte. Ils n’arrivent pas à faire leur place dans le métier.
Souvent, dans le monde des médias, on se demande pourquoi on embaucherait un jeune plutôt qu’un journaliste d’expérience. En fait, c’est un pari sur l’avenir, c’est un investissement. Une personne qui est trop arrogante dans une salle de presse, ça devient lourd. Je me souviens d’un étudiant au certificat qui m’avait dit : « Pfft, moi, pour que je travaille au Journal de Montréal, il faudrait qu’on m’offre un poste de chroniqueur. » Ça, c’est exactement le genre d’attitude qui fait en sorte qu’on ne sera jamais embauché nulle part.

En tant que président sortant de la FPJQ, vous êtes bien placé pour témoigner de l’évolution du métier de journaliste. Qu’est-ce qui a le plus changé depuis quelques années et qui fait en sorte qu’on parle maintenant de la formation en journalisme multiplateforme comme d’une nécessité?
Le métier a beaucoup évolué dans la manière d’écrire. Le temps de rétention du lectorat a chuté drastiquement avec l’avènement du Web. On parle de multiplateforme, et je suis convaincu que c’est important qu’un étudiant puisse développer toutes ces aptitudes. C’est désormais une réalité, quoi que, d’une certaine façon, je trouve qu’on exagère un peu la différence entre la presse écrite et la presse Web. Au Journal de Montréal, on a toujours écrit dans un style court et concis.
Par opposition, les journalistes radio et télé doivent suivre des méthodes complètement différentes. À la télé, par exemple, le lead est basé sur les images qu’on a captées, tandis qu’à l’écrit, on a beaucoup plus de liberté. À la radio, ça prend un lead punché. D’ailleurs, si on prend pour exemple les articles de La Presse canadienne, on ne retrouve jamais de citations dans les trois premiers paragraphes, parce que le texte doit aussi pouvoir être lu à la radio. Je considère que La Presse canadienne est l’apothéose du multiplateforme. Ils sont capables de faire en sorte que chaque texte soit adaptable à la télé, à la radio, dans tous les formats.
Certes, il faut apprendre à faire tout ça, mais par ailleurs, plus on avance dans sa carrière, plus on en vient à choisir sa branche. Il y a encore des journalistes qui font de la télé, de la radio et de l’écrit. Je pense notamment aux gens de Radio-Canada. Donc oui, c’est nécessaire. Et c’est très utile pour un journaliste de savoir « tout faire ». Ça lui permet de passer d’un département à l’autre, selon les besoins. Cependant, dans la majorité des autres entreprises [de presse], on doit choisir une voie. Bien entendu, en tant que journaliste écrit, je prêche pour ma paroisse, mais je crois que le fait d’avoir une spécialité donne une valeur ajoutée. Cependant, en début de carrière, c’est certainement un atout d’avoir plusieurs cordes à son arc.
« Le journaliste est avant tout un observateur de la société. » – Michaël Nguyen
Selon vous, est-ce que les métiers traditionnels plus cloisonnés de journaliste pour la presse écrite, de journaliste télé et de journaliste radio sont appelés à disparaître? Les journalistes de demain devront-ils tous travailler sur plusieurs plateformes à la fois?
C’est difficile à dire, mais concernant le journalisme Web, je me pose souvent la question : « Est-ce que ce serait avantageux qu’un journaliste qui signe un texte Web fasse aussi un feed audio qui résume son reportage, dans l’esprit d’un podcast? Est-ce que ça lui donnerait un avantage concurrentiel qui le rendrait plus désirable pour un employeur? » Je pense que oui.
Avoir un journaliste qui travaille efficacement sur plusieurs plateformes à la fois, c’est non seulement plus économique pour une entreprise qui tente constamment de réduire les coûts, mais c’est plus facile pour le journaliste. Ça crée moins de tension, parce qu’il y a moins d’intermédiaires. Souvent, on parle à notre affectateur, puis le message se perd. On parle au producteur, mais il y a toute une hiérarchie qui fait que, à la fin, le résultat n’est peut-être pas identique à ce qu’envisageait le journaliste. Alors qu’en étant capable de tout faire soi-même, le journaliste crée un contenu qui est plus fidèle à sa vision des choses et à son expertise.
C’est encore possible aujourd’hui de se spécialiser, mais est-ce que c’est plus avantageux de savoir tout faire? Actuellement, les deux cohabitent, et c’est difficile d’entrevoir vers quoi on se dirige dans l’avenir. Les deux sont possibles, mais il n’en demeure pas moins qu’avoir une spécialité, c’est une force.
Il n’y a que 24 heures dans une journée. Si vous passez trois heures par jour à faire de la radio, trois heures à faire de la télé, et trois heures à faire du Web, eh bien, au bout de trois ans, vous n’aurez que l’équivalent d’un an d’expérience télévisuelle, un an de radio et un an de Web.
Que diriez-vous aux étudiants qui sont inscrits au certificat en journalisme à la FEP et qui s’inquiètent de leurs perspectives d’avenir en raison des nombreuses mises à pied et compressions budgétaires auxquelles on assiste actuellement dans les médias d’information?
Je commencerais en leur disant merci. Merci de plonger dans ce métier qui est essentiel à la démocratie.
« Plus que jamais, à notre époque, les journalistes sont le dernier rempart contre la désinformation. » – Michaël Nguyen
Ça prend des gens qui ont du cœur et qui sont prêts à se lancer dans le métier. Entrer dans un programme de journalisme, c’est déjà un acte de foi. L’information est le seul bien essentiel que personne n’est obligé de consommer.
Compte tenu de la situation actuelle, je comprends très bien que vous vous posiez des questions. Mais rappelez-vous pourquoi vous avez choisi le journalisme. Je suis convaincu que personne ne l’a fait pour l’argent.
Soyez motivés, montrez que vous voulez réussir. Soyez prêts à faire quelques sacrifices dans la mesure du possible. Dans les salles de presse, ce qu’on recherche, ce sont des gens qui sont capables de se donner corps et âme pour le métier. Je pense sincèrement que les étudiants sont capables de faire une différence, et que sans eux, les salles de presse mourraient. En terminant, je reviendrais à ce que m’a dit sagement [le chargé de cours] Bernard Faucher : « Soyez une éponge. » Apprenez et observez.
Excellent article. Je partage 99% de ses opinions. Je me garde seulement une petite gêne.