Le photojournaliste Ivanoh Demers devant l’objectif

EntrevueJOU1200

Par Marie-Claude Lavigueur

Les photos d’Ivanoh Demers nous permettent de mieux saisir l’actualité depuis 20 ans. Pourtant, étonnamment, l’homme derrière l’objectif nous est presque inconnu. Photographe-journaliste, son parcours inclut une période de 16 ans au sein de l’équipe de La Presse et désormais au sein de l’équipe de Radio-Canada depuis près de 4 ans. 

Il était en Haïti pour un reportage lorsqu’un violent tremblement de terre a lieu en 2010. Une des photos prises lors de cet évènement a d’ailleurs fait la page couverture du New York Times en 2011. Sur cette photo se trouve un petit garçon couvert de poussière et de sang séché, le regard rempli de douleur et d’incertitude. 

Témoin de notre actualité, Ivanoh Demers capte à travers son objectif des moments éphémères et riches en émotion, qu’il transpose en images pour nous en faire bénéficier.

Image : Pexels.com

Q : Y a-t-il une photo dont vous êtes particulièrement fier ? 

R : Avoir réussi à photographier le Colonel Kadhafi lors du sommet du Darfour en 2005 est une victoire personnelle à plusieurs niveaux. À ce moment-là, je travaillais pour La Presse. Isabelle Hachey et moi avons eu le mandat d’aller en Libye. En 2005, la Libye avait de l’impact au sein de la géopolitique mondiale. Lors de notre arrivée, nous nous sommes fait expulser du pays, après plusieurs heures de discussion dans l’aéroport. Nous avons dû user d’ingéniosité afin de revenir au pays en passant par une autre frontière. À notre retour, nous avons réussi à obtenir des rencontres avec son fils et sa fille. Et finalement, au cours du sommet, j’ai finalement réussi à prendre Kadhafi en photo. C’est nettement la photo qui fut la plus difficile à prendre pour moi. 

Q : Pourtant, on pourrait penser que la photo ayant fait la couverture du New York Times serait celle dont vous êtes le plus fier. 

R : Lors du tremblement de terre en Haïti, j’ai rapidement réalisé que je devais prendre des photos afin de documenter le drame qui se passait. Mais malgré toute la détresse humaine que j’ai photographiée ces jours-là, je n’avais qu’à regarder autour de moi pour prendre des photos. Contrairement à celle de Kadhafi, où Isabelle et moi avons dû utiliser tout notre potentiel pour réussir notre mandat. Mais avoir fait la couverture du Times n’est pas vilain pour la fierté non plus. 

Q : Quel est le sentiment que vous avez ressenti lors de votre premier reportage en zone périlleuse ?

R : Je suis accrédité par la formation AKE, une formation que j’ai dû suivre à trois reprises depuis le début de mon parcours comme photographe-journaliste. La formation offerte par une entreprise britannique nous donne entre autres des notions de base sur les soins infirmiers de brousse, la connaissance des armes. 

Hormis les difficultés logistiques, le plus difficile est de trouver une façon de raconter sous un angle nouveau la détresse de peuples ravagés par un conflit ou un désastre naturel. Malheureusement, c’est ce qui rend notre travail intéressant, et plus important encore, c’est ce qui fait que notre travail fait peut-être une différence. 

Q : Lors d’une chronique à RDI, vous avez mentionné : « Le photographe est uniquement témoin de la nouvelle. » Est-ce que c’est facile pour vous d’être témoin sans pouvoir intervenir ? 

R : C’est ce qui distingue un bon journaliste d’un moins bon. Il est primordial d’être neutre et d’offrir une lecture ne prenant pas parti. En ce moment cependant, la neutralité représente pratiquement une prise de position, nous assistons à une polarisation des idéologies. Ce qui a de sérieuses répercussions dans notre travail. J’ai dû, depuis quelques mois, user de diplomatie pour effectuer mes mandats en toute quiétude. On m’a en effet injurié, suivi, et parfois on refuse de me parler simplement parce que je suis identifié comme un journaliste.

Q : Les réseaux sociaux ont-ils un impact sur votre travail ?  

R : Je considère qu’ils isolent leurs utilisateurs. À travers eux, chacun se retrouve coincé dans son univers, et se trouve conforté dans sa vérité. Cela devient un défi continuel de tenter de faire mon métier, puisque de plus en plus de personnes sont persuadées que nous ne partagerons pas leur point de vue. Les médias dont je fais partie doivent maintenant agir comme promoteur de leur existence. On doit promouvoir notre utilité en expliquant notre éthique et les règles qui nous régissent pour contrer la puissance des réseaux sociaux. 

Q : Triste constat. Croyez-vous que vous pourrez continuer à exercer votre métier malgré tout ?

Je suis un passionné de photographie et de nouvelles, je trouverai toujours un angle pour exploiter l’un des deux.  

« Le journaliste a toujours deux choix : exploiter l’angle du politicien qui parle de l’histoire, ou encore, exploiter l’histoire dont parle le politicien. » – Ivanoh Demers

Par exemple, dès la lecture sur le fil de presse de l’histoire de la tuerie du Maine cet automne, je savais que je devais y aller. Une fois là-bas, en discutant avec les intermédiaires, j’ai choisi l’angle de la santé mentale. Cela m’est apparu rapidement, les photos prises au motel parlent d’elles-mêmes selon moi. Dans ce motel qui louait des chambres au mois, j’ai eu l’impression que les occupants avaient besoin de divers services médicaux.

Q : Quel est selon vous l’avenir du photojournalisme avec la crise des médias ? 

R : Quiconque trouve son identité, y met du temps et de la passion sera en mesure de travailler, peu importe les conditions actuelles.  

Q : Y a-t-il une photo que vous aimeriez faire ? 

R : J’aimerais avoir la chance de retourner en Ukraine pour ramener l’attention sur ce conflit. Lors de ma visite initiale, j’ai réalisé les similitudes entre ce pays et le Canada. Nous sommes tous deux voisins d’un pays puissant, un voisinage qui peut s’avérer bénéfique ou non. 

Les dernières semaines ont changé la couverture du conflit dans ce pays. J’espère avoir la chance d’y retourner pour relater ce qu’il s’y passe.

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