Femmes en situation d’itinérance : un hiver précaire

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Par Anaïs Vuagnoux

L’itinérance féminine a augmenté à Montréal. Malgré cette croissance, les femmes sans-abri restent invisibles dans l’espace public. Éloïse Poirier O’Leary, intervenante à Montréal pour l’association La Rue des femmes, apporte son aide et alerte sur la situation. La fréquentation de leurs centres a augmenté de 30 % en 2023. À tel point que 9000 femmes ont été refusées en lit d’urgence. Ce phénomène nommé « crise de l’itinérance » a fait l’objet d’un sommet en septembre dernier, pourtant aucune amélioration n’est remarquée par ceux qui œuvrent auprès de ces populations. Les femmes sans-abri sont les plus précaires et leur nombre ne cesse de grandir malgré les efforts fournis par les institutions gouvernementales et les associations.

Q : Quelles sont les difficultés d’être une femme en situation d’itinérance? 

Éloïse Poirier O’Leary : L’idée n’est pas de dire que l’itinérance féminine est plus dure que l’itinérance masculine, mais en tout cas de les différencier. Car il y a des enjeux qui sont propres aux femmes : les menstruations, infections urinaires et mycoses. Certaines femmes sont également enceintes, or mener une grossesse dans cette situation est très difficile sur le plan mental et physique. De plus, le manque de sécurité est immense, il y a beaucoup d’agressions sexuelles.

Q : Que remarquez-vous dans les centres depuis la pandémie mondiale en 2019?

Éloïse Poirier O’Leary : Le confinement a fragilisé énormément de femmes, surtout au niveau de leur santé mentale. L’impossibilité d’avoir accès à certains services a empiré avec la crise du logement. Nous constatons beaucoup de nouveaux visages, des personnes qui n’ont jamais connu la rue avant. Nous avons de plus en plus de personnes âgées et de réfugiées. Le prix des logements n’est plus abordable pour ces femmes. Malgré le choc qu’elles vivent, elles font preuve de débrouillardise et d’adaptabilité face au manque de places, de services et d’informations.

Q : Quels sont les problèmes que vous vivez dans les centres en cette période hivernale?

Éloïse Poirier O’Leary : Nous sommes dans des mesures d’urgence car il y a un manque de place évident. L’hébergement d’urgence, dans la majorité des cas, c’est une seule nuit; donc chaque jour les femmes doivent revenir pour savoir si elles peuvent dormir au centre ou non. Pour ce qui est de l’aide, c’est une intervenante pour 60 personnes, un suivi insuffisant. Chaque année, les organismes communautaires poussent un cri d’alerte vers octobre, car les nuits froides arrivent. Nous demandons aux responsables politiques ce qu’ils ont prévu à l’approche de l’hiver. Pour être honnête, nous avons souvent des réponses que nous ne jugeons pas satisfaisantes.   

Q : Est-ce que vous avez dû faire preuve de plus de souplesse avec le règlement du centre pendant l’hiver?

Éloïse Poirier O’Leary : Oui, nous avons mis le plus de lits possibles. Nous avons installé des matelas dans les salles d’activités par exemple.

Q : Le ministre responsable des Services sociaux Lionel Carmant avait annoncé une enveloppe de 15 millions de dollars pour construire des logements avant l’hiver. Avez-vous été aidée d’une manière ou d’une autre avec ce financement?

Éloïse Poirier O’Leary : Sans parler des montants exacts qui nous sont donnés par le gouvernement, il y a des financements que nous avions eus l’année passée que nous n’avons pas eu cette année. Quinze millions, c’est un beau montant, mais à travers combien d’organismes cela est distribué? Cela reste un mystère. Parfois, une bourse est donnée uniquement pour des projets bien précis. Nous avons le sentiment que cela nous freine. Nous avons une expertise sur le terrain donc nous sommes les mieux à même de savoir comment l’argent doit être dépensé au sein de nos centres. Je remarque que le municipal et le gouvernemental se renvoient souvent la balle en termes de responsabilisation et de financement. Les organismes attendent de voir si tous les projets seront maintenus et concrétisés.

Q : Comment peut-on aider à freiner l’itinérance? 

Éloïse Poirier O’Leary : Rendre l’accès aux soins de santé, c’est prévenir l’itinérance. Quand tu dors convenablement, que tu manges à ta faim et que tu n’es pas malade, tu es plus enclin à te reconstruire et à faire partie de la société. Actuellement, c’est difficile pour un Québécois avec un toit d’avoir accès aux soins de santé, alors pour une femme sans-abri, c’est encore plus complexe. Ce qui compte également, c’est de sensibiliser la population et nos décideurs à l’itinérance, car il y a encore des personnes qui pensent que c’est un choix d’être sans-abri. [Il faut] avoir une vision plus globale et humaine de ce phénomène. Les centres ne sont pas des camps, ce sont des maisons d’aide.

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