Par Jean-François Therrien
C’est le 31 juillet dernier que M. Yvon Pépin, Directeur des Services administratifs au collège Ahuntsic à Montréal, recevait la fameuse lettre de la ministre de l’Enseignement supérieur, Madame Pascale Déry.
Cette lecture estivale imprévue l’a empêché de dormir durant quelques nuits. « J’ai fait l’erreur d’ouvrir mes courriels pendant mes vacances, sans trop y penser », avouera-t-il. C’est le moment qui a été choisi pour envoyer les mauvaises nouvelles.
Toutes les directions générales, au niveau collégial et universitaire, ont reçu la même lettre concernant les budgets d’investissements, qui sont réduits de 20 à 80%, selon les établissements.
Dans sa préparation, le budget 2024-2025 a été « le plus difficile des 22 dernières années », de rappeler ce directeur d’expérience. Ces restrictions ont eu pour conséquences de freiner des chantiers et d’annuler des acquisitions d’équipements, sans aucun préavis. Pour le collège Ahuntsic, cela représente trois millions sur un budget d’investissement prévu de 13 millions de dollars.
De l’extérieur, on a l’impression que le gouvernement hypothèque ses infrastructures pour payer son déficit. « Oui, à mon avis, ce sont de mauvaises décisions » de dire M.Pépin, en référence aux chèques et aux baisses d’impôts envoyés aux contribuables au cours des deux dernières années.
Il note également les augmentations consenties lors des dernières négociations collectives, qui ont augmenté la masse salariale de 10%, dans le budget de fonctionnement 2024-2025. Le problème est que le ministère ne subventionne pas la totalité de ces augmentations.
Depuis l’annonce d’un « déficit record de 11 milliards » au dernier budget, en mars dernier, le gouvernement tente de couper dans tous les ministères. Les plus grandes restrictions seront reportées après les prochaines élections, selon Tommy Chouinard, de La Presse. Donc, on commence à peine à voir les conséquences de cette situation désastreuse.
Pourtant, lors du discours d’ouverture de son deuxième mandat, François Legault nommait l’éducation comme « la priorité des priorités ». Il reconnait, au primaire et au secondaire, le défi de la pénurie de main-d’oeuvre ainsi que le chantier de la rénovation des écoles.
Par contre, à l’enseignement supérieur, l’objectif du gouvernement est d’inciter les étudiants à se former dans les secteurs en pénurie. On a l’impression que la réfection des bâtiments est « secondaire ».
Impacts universitaires
Pour l’Université du Québec à Montréal (UQAM), les conséquences sont importantes. Elle doit restreindre les nombreux projets d’entretien de ses immeubles qui ont plus de 50 ans, selon Léa Carrier, de La Presse. Le budget prévu était de 40 à 50 millions, mais a dû être revu à la baisse. « Pour le moment, la limite est toujours de 31 millions », note M. Stéphane Pallage, recteur de l’UQAM.
Il en va de même à l’Université de Sherbrooke où le plafond a été fixé à 7 millions de dollars par Québec. Le montant initialement prévu était de 36 millions. À L’Université de Montréal, « 50 millions de dollars en projets de maintien des actifs sont en péril », selon Zacharie Goudreault, du Devoir. Bref, toutes les universités sont affectées par ces coupes généralisées et uniformes qui semblent faites à l’improviste pour mettre un pansement à court terme sur nos finances.
Impacts sur l’accessibilité des soins de santé
Les projets de développements de l’UQAM sont retardés ou mis sur pause. Parmi ceux-ci, on peut nommer la mise en veilleuse d’une nouvelle faculté de médecine. Selon Léa Carrier de La Presse, le cabinet de la ministre de l’Enseignement supérieur avait ce commentaire : « nous leur avons plutôt recommandé de miser sur leurs champs d’expertise actuels dans les domaines de la santé et des services sociaux ».
Ceci est un exemple concret du sous-financement universitaire qui mine l’accessibilité des soins de santé. Aujourd’hui, il y a « une pénurie de plus de 1500 médecins de famille au Québec ». Le problème est qu’on ne peut former des médecins à l’intérieur d’un mandat de quatre ans. Il faut une vision à long terme des soins de santé.
Depuis quelque temps, les plans de l’UQAM ont évolué. Selon Marie-Michèle Sioui du Devoir, le recteur s’est associé au président du réseau de l’Université du Québec, M.Alexandre Cloutier. Il souhaite élargir la portée du projet, qui deviendra un objectif du réseau UQ, visant à « former 200 médecins de famille par année, et ce, dès 2028. » Ce projet intégré mise sur l’ensemble du réseau pour promouvoir la pratique en région et le développement de la médecine familiale.
Rapport du vérificateur général
Le Rapport du vérificateur général du Québec, déposé en mai 2024, faisait état de plusieurs lacunes dans la gestion et l’entretien des infrastructures dans le réseau collégial, qui comportent 899 bâtiments. « Les deux tiers des bâtiments des cégeps sont en mauvais état et les investissements prévus ne permettront pas de renverser leur dégradation importante. »
Plusieurs infrastructures ont dû être fermées. Le rapport nomme une résidence étudiante et une piscine régionale. Dans ces cas précis, il s’agissait d’interventions urgentes et imprévisibles, qui n’ont pu être faites à temps.
Les cégeps, créés en 1967, ont un âge moyen de 57 ans. Certains, comme le cégep Saint-Laurent, étaient dans des bâtiments déjà vieux, dès leur création, d’où l’importance d’avoir un bon plan d’entretien rigoureux échelonné sur plusieurs années afin d’en assurer la pérennité.
Impacts urbains
Les cégeps de la grande région de Montréal doivent composer avec des hausses importantes de leur clientèle. Le ministère de l’Enseignement supérieur prévoit que « l’effectif étudiant devrait donc passer de plus de 177 000 en 2023 à plus de 212 700 en 2033 », soit une hausse de plus de 20%. Or, la plupart des cégeps sont déjà au maximum de leur capacité et doivent faire preuve de créativité pour rendre les services à leurs étudiants.
L’utilisation de classes modulaires ou de roulottes pour pallier le manque d’espace est rendue courante, comme le rapportait Léa Carrier, de La Presse. Elle donne l’exemple du collège Lionel Groulx, à Sainte-Thérèse, « qui a installé deux complexes modulaires abritant une vingtaine de salles de classe sur son terrain. ». Selon les plans, la livraison des nouveaux espaces est prévue pour 2030.
Le collège Montmorency a dû refuser plus de 1000 demandes à l’automne 2024 après avoir vu ses demandes d’admission bondir de 24% au premier tour depuis trois ans.
Impacts régionaux : La piscine du bas du fleuve
À La Pocatière, la piscine régionale du cégep est fermée depuis 16 mois, privant la communauté de la seule piscine dans un rayon de 65 km. Le rapport du vérificateur faisait état de cette réalité particulièrement cruelle pour la population. Le problème est le délai de traitement de la demande qui a entraîné une inflation importante des coûts du projet qui passent de 6 à 12 millions.
Les plans étaient faits, mais le gouvernement n’a pas voulu augmenter son financement. Le cégep a donc fermé sa piscine en mai 2023. Seize mois plus tard, le gouvernement a finalement proposé un compromis. Il a fait savoir que la communauté devrait financer 25% des coûts, soit près de 3 millions de dollars.
Depuis ce temps, les élus locaux travaillent ensemble et cherchent des solutions. Le cégep a repoussé au 29 janvier 2025 sa décision finale dans ce dossier, selon Le Placoteux, journal local.
Le vérificateur a qualifié les processus d’analyse de projets, de longs et inefficaces et fait six recommandations pour y remédier. Parmi celles-ci, on retient l’importance de « disposer de toute l’information pour bien connaître l’état des bâtiments » et de s’assurer que « le budget en maintien d’actifs soit attribué au moment opportun ».
Au collège Ahuntsic, M.Pépin a confirmé que le collège avait dû annuler un appel d’offres en raison de soumissionnaires trop gourmands. Il croit que le collège pourra obtenir un meilleur prix en revenant à la charge en janvier 2025, quand les carnets de commande ne seront pas remplis.
Coup de théâtre
Au moment d’écrire ces lignes, la Société de transport de Montréal (STM) a déclaré devoir fermer d’urgence trois stations de métro pour des raisons de sécurité. Cet événement arrive la journée même où la ministre des Transports, Mme Geneviève Guilbault, était censée annoncer le prolongement de la ligne bleue.
Cet exemple illustre de nouveau le déficit d’investissement en infrastructure de transport au Québec. Encore une fois, le métro, qui a été inauguré dans les années 60, a vu les différents gouvernements négliger son entretien pour en venir à cette situation déplorable.
Il semble que, depuis plusieurs années, les gouvernements ont pelleté par en avant les dépenses d’infrastructure et n’ont pas mis assez d’argent de côté. Les politiciens n’aiment pas financer ces rénovations, car c’est moins spectaculaire que des nouvelles constructions. Sauf que maintenant, on arrive à l’étape où l’on n’aura plus le choix, car les édifices sont trop vieux.
Ce mode de gestion électoraliste doit être décrié dans toute la société : en transport en commun, dans nos écoles et nos hôpitaux. Il est impératif que les gouvernements ne puissent plus payer l’épicerie avec la carte de crédit de nos infrastructures.
Recommandation
Une bonne pratique serait de mettre à l’abri des gouvernements, les budgets d’entretien et de réfection des différentes infrastructures, dans un fonds spécial. On pourrait utiliser le modèle du fonds des générations ou du fonds vert, qui sont dédiés et planifiés.
Avec nos cégeps qui ont succédé aux vieux Collèges classiques, aux couvents et aux écoles normales dans les années soixante, il faudra plus que des voeux pieux pour maintenir nos actifs à un niveau acceptable. Il est grandement temps de dépolitiser la gestion de nos infrastructures et de la mettre à l’abri des promesses électorales.
Malgré toutes ces considérations critiques, il importe de mettre en perspective le chemin parcouru par nos cégeps depuis leur création dans les années 60. À cet égard, M.Guy Rocher, un des concepteurs du réseau collégial, est très éloquent. À son avis, les objectifs d’accessibilité et de démocratisation du réseau collégial et de l’Université du Québec ont été « au-delà de notre perception à l’époque, de ce que nous pouvions
rêver ».
Dans cette entrevue, il nommait à Pierre Duchesne, les problèmes de sous-financement et leurs conséquences. Il aimerait bien qu’on soit fier de ce joyau et qu’on s’en occupe adéquatement. M. Rocher, a fêté ses 100 ans en avril dernier. Il est le « dernier membre de la commission Parent encore vivant ». Professeur émérite de sociologie, il a cumulé près de 58 ans de carrière universitaire.
Bibliographie : actualité Québec-Canada
Carrier, Léa. “Des cégeps pleins à craquer », La Presse, 21 août 2024,p.4.
Carrier, Léa. « UQAM: Une faculté des sciences de la santé ouvrira ses portes », La Presse, 20 septembre 2024, p.5.
Chouinard, Tommy. « Déficit record de 11 milliards à Québec », La Presse, 12 mars 2024,p.1.
Communiqué de presse, Le Placoteux, « Piscine du Cégep : le conseil d’administration reporte sa décision », 30 septembre 2024,p.1.
Duchesne, Pierre. « Les cent ans de Guy Rocher, héritage et vision de l’enseignement supérieur », Portail du réseau collégial du Québec, 13 mai 2024.
Goudreault, Zacharie. « Les grands projets de l’UQAM confrontés à son « sous-financement » », Le Devoir, 20 septembre 2024, p.3.
Gouvernement du Québec. « Discours d’ouverture de la première session de la 43ème législature », Cabinet du premier ministre, 30 novembre 2022.
La Presse Canadienne, « Ce n’est pas pour demain matin qu’on va réouvrir », La Presse, 4 octobre 2024.
Monin-Martel, Florence. « Québec ouvre plus de postes de médecins de famille », Le Devoir, 24 septembre 2024.
Sioui, Marie-Michèle. « L’Université du Québec veut sa faculté de médecine », Le Devoir, 29 juin 2024, p.1-4.
Vérificateur général du Québec (rapport pour l’année 2023-2024), chapitre 2, « Gestion du parc immobilier des cégeps », mai 2024, p.3, Constats.
Vérificateur général du Québec (rapport pour l’année 2023-2024), chapitre 2, « Gestion du parc immobilier des cégeps », mai 2024, p.42, Recommandations.
Ministère de l’Enseignement supérieur, « Prévisions de l’effectif étudiant au collégial, 2024-2033 », mai 2024.