Par Étienne Godin
La fermeture en juin prochain du plus vieux magasin Archambault, une institution montréalaise qui a pignon sur rue à l’angle de Berri et Sainte-Catherine depuis 1930, marquera la fin d’une époque. Dans le milieu de la musique, on attribue cette lente agonie à la migration vers les plateformes numériques et à un modèle d’affaires qui n’a pas su s’adapter.
« Ça fait longtemps qu’on assiste à une dégringolade graduelle dans l’industrie du disque, ce n’est pas un phénomène nouveau », observe Félix-Antoine Hamel, un saxophoniste de jazz qui a lui-même été disquaire durant 2 décennies, et qui travaille aujourd’hui comme musicothécaire à Radio-Canada. « C’est symptomatique de quelque chose de plus grand, c’est-à-dire la dématérialisation de la musique. »
On peut certes attribuer cette débâcle à la quasi-extinction des supports physiques tels que le CD et le DVD, mais selon le pianiste Olivier Godin, la dématérialisation de la musique est un phénomène qui s’applique aussi aux partitions. « Aujourd’hui, un jeune étudiant du Conservatoire qui cherche des préludes et fugues de Bach n’ira pas acheter ses partitions chez Archambault. Il va les trouver gratuitement sur Internet, car ces œuvres sont du domaine public », observe M. Godin, ex-professeur au Conservatoire de musique de Montréal et directeur artistique de la Salle Bourgie, une institution vouée au rayonnement de la musique classique. « La grande majorité des jeunes musiciens travaillent avec des iPads, ils n’ont même plus de partitions papier », ajoute-t-il.
M. Godin estime que « ce qui faisait le chiffre d’affaires du Archambault de la rue Berri, c’était avant tout les disques, les partitions et les instruments de musique. Jusqu’au début des années 2000, c’était le seul magasin pour les partitions de classique à Montréal, avec la Coop de musique de l’école Vincent-d’Indy. Tristement, tout ce qui faisait le chiffre d’affaires de ce magasin-là est devenu disponible en ligne. »
L’acquisition en 2015 du Groupe Archambault par les librairies Renaud-Bray n’aura pas été suffisante pour redonner ses lettres de noblesse au mythique commerce. Au contraire, le modèle d’affaires de Renaud-Bray aurait en quelque sorte aliéné les mélomanes, d’après nos 2 interlocuteurs. « Ils se sont mis à vendre des théières, des tire-bouchons et des bibelots », déplore Félix-Antoine Hamel. « Ça fait des années, je pense, qu’il ne se passait plus grand chose là musicalement. Sans parler des conditions de travail [des disquaires], qui étaient loin d’être enviables. »
Olivier Godin abonde dans le même sens. « Ça a été vendu à des gens qui ne s’intéressent pas à la musique. En se privant de la clientèle [de mélomanes amateurs de classique], le reste n’était plus viable. Comme ils avaient une moins grande sélection de disques et de partitions, leur clientèle première n’y allait plus. »
La fermeture prochaine du Archambault de la rue Berri marquera également la fin des échanges enrichissants entre disquaires et clients réguliers, à Montréal du moins, croit M. Hamel. « Aujourd’hui, sur le Web, si tu sais exactement ce que tu cherches, tu vas trouver. Mais tu n’auras pas cette expérience d’avoir un disquaire pour te conseiller, qui trippe sur la même musique que toi. Ce service personnalisé, ça n’existera plus. Et l’intelligence artificielle n’est pas encore rendue là. »
On peut sans doute affirmer qu’Archambault aura été le dernier des mohicans parmi les détaillants de musique à grande surface, constate Félix-Antoine Hamel. Au début des années 2000, à l’ère de Napster, les disquaires commençaient déjà à subir les contrecoups de l’avènement de la musique en format numérique. La dégringolade de la vente de CD a fait une première victime en 2001 à Montréal : le détaillant Sam The Record Man. Puis, ce fut au tour de la chaîne HMV de fermer tous ses magasins canadiens en 2017. Dans cette optique, la fermeture du Archambault Berri, le tout premier magasin de musique à grande surface à Montréal, paraissait inévitable.
« C’est vraiment dommage que le milieu de la musique n’ait pas su sauver cette institution. On l’a laissée péricliter », conclut Olivier Godin.
Publié le 27 février 2023
Triste constat.