À une époque où l’urgence de la crise climatique n’est plus à démontrer, de plus en plus de gens (et surtout de jeunes) affirment éprouver de l’écoanxiété. Si plusieurs associent ce sentiment à une impuissance paralysante pour d’autres, au contraire, il est le moteur d’actions concrètes dans la lutte contre les changements climatiques.
Isabelle Béliveau a toujours eu le sort de la planète profondément à cœur.
« Quand j’étais jeune, chaque fois que je voyais la destruction d’un milieu naturel, ça venait vraiment me chercher », se remémore-t-elle dans une entrevue accordée au Devoir en mars 2023. Cette sensibilité l’a menée à entreprendre un baccalauréat en environnement et à s’impliquer dans plusieurs initiatives de lutte aux changements climatiques au fil de son parcours étudiant.
Après des mois de militantisme intensif, à raison de 40 à 50 heures par semaine en plus de ses études à temps plein, Isabelle a vécu un burnout. Un épisode qu’elle associe à la fatigue et à la pression exercée par le milieu militant, mais aussi au sentiment d’écoanxiété qui l’habitait depuis longtemps. « J’ai l’impression que depuis au moins 10 ans, je suis tout le temps en mode survie et portée par cette anxiété, raconte-t-elle dans le cadre d’un reportage de Radio-Canada en décembre 2022. Mon système a épuisé ses ressources et c’est là que j’ai fait un burnout. Oui, c’est lié à cette écoanxiété accumulée depuis des années. »
Un phénomène répandu
L’histoire d’Isabelle est loin d’être un cas isolé. Selon un sondage Léger réalisé en 2021, 59% des adultes québécois·es affirment être écoanxieux·ses. Chez les 18 à 34 ans, ce chiffre monte à 73%.
Mais qu’est-ce que l’écoanxiété ? L’Association américaine de psychologie définit le phénomène comme « une peur chronique d’une catastrophe environnementale imminente ». La psychiatre américaine Lise Van Susteren parle plus précisément de « stress pré-traumatique » pour décrire les symptômes de cette appréhension face aux désastres naturels de plus en plus fréquents auxquels notre planète est confrontée. Ces symptômes incluent notamment un sentiment d’inquiétude, des pensées intrusives, des problèmes de sommeils ou encore l’évitement de situations ou activités qui rappellent l’événement stressant. D’autres parlent plus largement « d’éco-émotions » pour désigner le vaste spectre d’expériences émotionnelles pouvant être associées aux préoccupations environnementales, telles que l’éco-dépression ou l’éco-colère.
L’écoanxiété comme moteur de changement
L’écoanxiété et les émotions qui s’y rattachent, bien que difficiles à vivre, ont-elles des effets strictement néfastes? Pas selon Anne-Sophie Gousse-Lessard, professeure à l’UQÀM et chercheuse en psychologie sociale et environnementale. « Il ne s’agit pas de savoir comment guérir de l’écoanxiété, mais plutôt de savoir quoi en faire », affirme-t-elle dans un article du bulletin Actualités UQÀM en octobre 2021.
Madame Gousse-Lessard codirige un projet de recherche visant à explorer la relation entre l’écoanxiété et l’engagement citoyen en matière d’environnement chez les jeunes québécois·es. Pour ce faire, elle s’est entretenue avec une quinzaine de jeunes de 18 à 35 ans s’affirmant écoanxieux·ses et étant engagé·es à divers degrés dans la défense de l’environnement.
Selon ses recherches, les jeunes déploient une diversité de stratégies pour composer avec leur écoanxiété. Certain·es font preuve de déni ou d’évitement, des mécanismes de défense rarement efficaces à long terme. D’autres privilégient les gestes individuels, en adoptant un mode de vie zéro déchet afin de réduire leur empreinte écologique. D’autres encore se tournent vers les actions collectives, en s’impliquant dans des groupes écologistes ou en prenant part à diverses formes de mobilisation communautaire et politique.
Selon la chercheuse, c’est cette dernière forme de stratégie qui s’avère la plus prometteuse pour mobiliser positivement l’écoanxiété. « L’engagement citoyen contribue à combler trois grands besoins fondamentaux que nous partageons tous, ceux de compétence, d’autonomie et d’affiliation sociale », souligne-t-elle. De ce fait, « l’action collective est source d’espoir et porteuse de sens, davantage que l’action individuelle ».
Des outils pour mieux canaliser l’écoanxiété
C’est précisément pour ce type d’action collective qu’a opté Isabelle Béliveau en cofondant l’organisme Éco-Motion en 2020. Suivant son épisode de burnout, la militante a réalisé que la difficulté à concilier lutte climatique et santé mentale était un problème répandu dans les milieux écologistes. « J’ai compris que ce n’était pas juste moi qui vivais ce qu’on appelle aujourd’hui l’écoanxiété, explique-t-elle au Devoir. Je me suis mise à voir des signes de détresse chez les gens, liés à la situation environnementale. »
Isabelle a ainsi eu l’idée de créer un organisme sans but lucratif ayant pour mission d’outiller les personnes pour mieux composer avec la charge émotionnelle liée aux changements climatiques. Formé de professionnel·les en environnement et en santé mentale (dont trois doctorantes en psychologie et un travailleur social), le collectif Éco-Motion offre des ateliers visant à « transformer l’écoanxiété en moteur de changement » en contexte organisationnel. Il propose aussi des « espaces bienveillants et mobilisants pour déconstruire les tabous de santé mentale en contexte de crise socio-environnementale », notamment par le biais de canaux de discussion virtuels et de groupes de soutien.
D’autres organismes, ciblant plus précisément les jeunes, ont également pour objectif d’aider ceux-ci à canaliser positivement leur sentiment d’écoanxiété. C’est notamment le cas du projet Sors de ta bulle, de la Fondation Monique-Fitz-Back, qui vise à « briser la solitude et vaincre le sentiment d’impuissance chez les jeunes face à la crise climatique, ainsi qu’à stimuler leur pouvoir d’agir ».
Ce projet comprend une campagne de mobilisation auprès des jeunes du secondaire, incluant des affiches diffusées dans les écoles et des publications sur les réseaux sociaux, afin de « stimuler l’engagement de la jeunesse sur les enjeux climatiques ». Sors de ta bulle organise aussi le Sommet jeunesse sur les changements climatiques, un événement annuel où se rassemblent des centaines d’adolescent·es de partout au Québec pour « en apprendre davantage sur les enjeux climatiques et échanger sur les solutions », par le biais d’ateliers et de conférences.
Selon Anne-Sophie Denault, professeure en psychoéducation à l’Université Laval, de telles initiatives sont essentielles pour permettre aux jeunes de gérer positivement leurs émotions en lien avec la crise climatique. « Quand on se met en action, souvent, ces émotions se dissolvent parce qu’on a l’impression de faire une différence », explique-t-elle en entrevue au Devoir en mai 2024. Elle ajoute que le fait de s’unir vers un projet commun aide beaucoup les jeunes qui se sentent seul·es face à leurs éco-émotions.
Loin d’être un sentiment inutile ou inapproprié, l’écoanxiété présente ainsi un potentiel précieux en tant que moteur de changement, à condition de savoir la mobiliser de manière positive. Pour ce faire, il importe selon Isabelle Béliveau que les impacts des changements climatiques sur la santé mentale fassent partie intégrante des discussions sur l’environnement. « Selon moi, la crise climatique et la crise de santé psychologique sont interreliées, souligne-t-elle. On ne peut pas en atténuer une sans s’occuper de l’autre. »
Rédigé dans le cadre du cours RED2301 – La vulgarisation
Remis le 20 décembre 2024
Sources :
COUTURE Alexandre. Mettre la santé mentale au coeur des discussions sur l’environnement, Le Devoir, 4 mars 2023.
WONG Denis. Apprendre et apprivoiser son écoanxiété, Radio-Canada, 16 décembre 2022.
MÉNARD Élizabeth et Félix Pedneault. L’écoanxiété augmente au Québec et des experts disent que ce sera le mal du siècle: on fait quoi avec ça? 24 heures, 30 septembre 2021.
COLINO Stacey. Fearing the Future: Pre-Traumatic Stress Reactions, US News, 24 mai 2017.
STANLEY Samantha K et al. From anger to action: Differential impacts of eco-anxiety, eco-depression, and eco-anger on climate action and wellbeing, The Journal of Climate Change and Health, mars 2021.
GAUVREAU Claude. Éco-anxiété et engagement citoyen, Actualités UQÀM, 26 octobre 2021.
JOLIN-DAHEL Leïla. Transformer l’écoanxiété en mobilisation pour le climat, Le Devoir, 11 mai 2024.