Par Yan Brassard
Dans moins de 2 mois, les 110 millions de Russes ayant le droit de vote se rendront aux urnes. Vladimir Poutine se représente après plus de 13 ans de pouvoir en tant que Président de la Fédération de Russie. Décrié sur la scène internationale pour violations des droits de l’homme, l’agressivité de sa politique étrangère que ce soit en Crimée ou en Géorgie et son ingérence politique dans le processus électoral de nombreux pays occidentaux, Vladimir Poutine déchaîne les passions. Mais quelle est sa vision et pourquoi sera-t-il réélu en 2018?
Tout d’abord, quand on pense au président russe, c’est généralement avec un sentiment de crainte et d’hostilité. Pourtant, en Russie, il jouit d’une solide popularité : 58% des citoyens russes lui font grandement confiance, selon un sondage du Pew Research Center publié en juin 2017. Quand on les questionne sur la politique étrangère, sa popularité grimpe à 87%. Mais qu’est-ce qui explique une telle popularité? Comme le dit le dicton, « pour savoir où l’on va, il faut savoir d’où l’on vient ». C’est particulièrement vrai en Russie.
À l’époque de l’Union soviétique, la planète était plongée dans un monde bipolaire. D’un côté, l’axe pro-américain. De l’autre, l’axe soviétique. L’Europe était divisée entre l’est et l’ouest. De 1945 à 1991, deux superpuissances se sont confrontées dans une guerre avant tout idéologique. Le modèle capitaliste, prôné par les Américains, représentait la liberté. Quant au modèle communiste, défendu d’abord par le révolutionnaire bolchévique Joseph Staline puis par Vladimir Ilitch Oulianov (plus connu sous le nom de « Lénine »), il représentait avant tout l’égalité des hommes.
Après la Guerre froide, lorsque Mikhaïl Gorbatchev a tendu la main aux Américains et mis en place une série de réformes dans une période connue sous le nom de pérestroïka, le pays a vécu ces événements comme une défaite face à l’Amérique. Ce fut ensuite le début d’un long déclin tant sur le plan économique que moral.
Dans les années 90, inspiré par le succès économique du géant américain, le président russe Boris Eltsine épouse l’économie de marché et en particulier le discours néolibéral. S’ensuit alors la dévaluation du rouble et une baisse du pouvoir d’achat de la population. Néanmoins, quelques années plus tard, cette dévaluation aura pour effet de donner un nouvel élan aux exportations russes.
Le pays des tsars, de Ivan IV à Michel II (assassiné en 1918 par les bolchéviks), veut rétablir sa grandeur perdue. L’arrivée de Vladimir Poutine en 2000 marque le début d’une renaissance de la civilisation russe. Une renaissance morale avec le retour de l’Église orthodoxe, persécutée par les Soviétiques. Mais une renaissance aussi de l’affirmation de la grandeur de la Russie sur la scène internationale.
Médias et propagande
L’Église orthodoxe servira de sphère d’influence pour mettre en place un axe paneuropéen conservateur dans lequel l’Union européenne est affaiblie au profit d’une politique alignée sur Moscou. C’est la raison pour laquelle, en 2014, la banque russe First Cezch Russian Bank accordait un prêt de 9 millions d’euros au Front national, un parti français eurosceptique. M. Poutine s’intéresse aux partis européens qui souhaitent un rapprochement avec la Russie, en particulier les mouvements politiques populistes et identitaires.
Moscou a aussi mis en place un réseau de propagande à la solde du Kremlin avec des médias d’envergure internationale et traduits dans plusieurs langues tels que Russia Today et Sputnik, où Poutine reçoit une couverture médiatique unanimement positive. En Russie, l’opposition est vite diabolisée, voire accusée de pratiquer l’espionnage pour le compte de la CIA.
Le soutien que reçoit l’ancien agent du KGB auprès de la population est un mélange à la fois de propagande médiatique et de fierté nostalgique pour une civilisation qui veut être traitée avec égalité par les États-Unis. En Syrie par exemple, M. Poutine s’est imposé comme un interlocuteur obligatoire dans les négociations visant à imposer un cessez-le-feu entre l’opposition et le régime de Bachar al-Assad.
Dans le cas de l’annexion illégale en 2014 de la Crimée, une région russophone d’Ukraine, la communauté internationale qui a unanimement condamné ce qu’ils considéraient comme une agression a été contrainte de se satisfaire d’un statut quo. Un statut quo où la Russie jouit d’une position favorable : les Russes considèrent que le retour de la Crimée dans leur giron est la correction d’une erreur historique.
Tous ces succès sur la scène internationale ont érigé Vladimir Poutine comme l’un des leaders forts en ce début du 21e siècle. Il n’est pas étonnant qu’en jouant sur des symboles nationalistes entremêlé de références historiques, M. Poutine soit appuyé par une grande partie de la population russe.
L’enquête sur le financement russe de la campagne de Donald Trump aux États-Unis, dirigée par le procureur spécial Robert Mueller, est le cas le plus célèbre d’ingérence électorale de la Russie. D’ailleurs, la personnalité autoritaire du président américain actuel et son discours populiste ont beaucoup d’aspects en commun avec M. Poutine.
Démocratie et nostalgie
Mais dans le cas de la Russie, les contre-pouvoirs pour empêcher les abus du président sont très faibles, voire à la solde du pouvoir. L’arrestation il y a quelques semaines de l’opposant principal à M. Poutine, Alexei Navalny, lors d’une manifestation contre le pouvoir à Moscou et son inéligibilité à l’élection présidentielle prononcée par la Commission électorale centrale en juin dernier et confirmée par la Cour suprême russe en décembre, témoignent d’un régime autoritaire qui contrôle le pouvoir judiciaire.
On est bien loin de la justice américaine, qui a mis beaucoup de bâtons dans les roues du président américain depuis son élection. M. Navalny, qui avait le malheur de s’opposer aux politiques de Vladimir Poutine, accuse notamment le président russe de s’enrichir en profitant d’un système de corruption basé sur la complicité d’un certain nombre d’oligarques dans le détournement de fonds publics lors de l’octroi d’importants contrats publics.
Or, bien que la corruption soit le talon d’Achille du président qui nuit à sa popularité, la figure d’autorité symbolisée par M. Poutine séduit une bonne partie de la nation russe. Une nation prête à sacrifier les principes démocratiques au nom de la renaissance de la Grande Russie.