Claude Boivin a souvent accueilli des groupes d’étudiants sur son petit coin de terre nommé Aventure Plume Blanche, au cœur de la communauté de Mashteuiatsh, à Roberval, sur les rives de Pekuakami (nom innu du lac Saint-Jean). Mais cette fois-ci, il remarque quelque chose de différent qui attire son attention. « Presque tous les drapeaux du monde flottent fièrement sur ma propriété. La France, Haïti, l’Inde, le Maroc, la Guinée, et bien d’autres encore. C’est une véritable mosaïque culturelle », s’exclame l’homme innu.
« L’Aventure Plume Blanche est un lieu de connaissances spirituelles où tout le monde – petits et grands, de toutes couleurs – découvre le mode de vie des Premières Nations du Lac-Saint-Jean, d’hier à aujourd’hui », explique M. Boivin. Il prend plaisir à expliquer à son groupe d’invités, entre autres, comment chauffer le Shaputuan, une tente traditionnelle autochtone, pendant la nuit.
« Pour isoler le sol, un bon tas de branches de conifères sous le matelas est une technique ancestrale. Les jeunes se relaient pour chauffer au bois la nuit », raconte-t-il en souriant, car il se rappelle les expressions émerveillées des jeunes qui expérimentent pour la première fois ce type de lit dans un environnement typiquement innu.
« À travers des cercles de partage, des marches en forêt et des plats aux saveurs traditionnelles amérindiennes comme le caribou, l’orignal, l’outarde, la tourtière du Lac ainsi que le pain amérindien bannique, les participants s’immergent dans la culture, les traditions et la spiritualité autochtone », ajoute-t-il.
À la découverte des savoirs autochtones : enrichissement et inspiration
Grâce au soutien financier du ministère de l’Économie et de l’Innovation, le projet Jardins des Premiers Peuples est rendu possible. Dans le but d’alléger le fardeau financier des étudiants, le séjour est entièrement pris en charge pour eux.
Shamaïla Basharat, une jeune Française de 24 ans ayant des origines marocaine et pakistanaise, n’a aucun regret d’abandonner ses cahiers après plus de deux mois de cours universitaires intensifs pour partir à la rencontre de personnes autochtones. « Je suis venue voir par moi-même comment les communautés vivent et je repars enrichie par des découvertes sur la relation des communautés autochtones avec la Terre », déclare la jeune étudiante en environnement et développement durable à l’Université de Montréal (UdeM). Pour elle, les savoirs autochtones sont essentiels pour la préservation de l’environnement et de la biodiversité.
Lou Schraeder, également étudiante en environnement et développement durable à l’UdeM, est convaincue que les ateliers pratiques portant sur les arbres traditionnellement utilisés pour soigner les quatre dimensions de l’humain selon les savoirs autochtones – physique, psychologique, mental et spirituel – auront un effet bénéfique sur son parcours académique, professionnel et personnel. « C’est vraiment une approche de vie inspirante, une manière de vivre que je souhaite adopter pour protéger et revitaliser ce patrimoine », témoigne la jeune étudiante albertaine de 25 ans.
Samuel Blain, un accompagnateur et professeur à la faculté de médecine de l’UdeM, souligne l’importance de s’immerger dans la culture autochtone pour comprendre les enjeux historiques et contemporains. Il a également souhaité faire vivre à ses deux adolescents « cette expérience unique pendant la semaine de relâche », souligne-t-il.
Marcel Telliano, assistant de recherche et étudiant en gestion des services de santé et des services sociaux à l’École nationale d’administration publique, partage son point de vue concernant l’impact de cette activité culturelle sur son cheminement. « Ce n’est pas simplement une aventure académique », précise Marcel.
« Pour moi, il était important de venir rencontrer un détenteur du savoir, mettre la main à la pâte, la toucher de mes propres mains, car au-delà de ce que l’on peut lire sur les Premières Nations, cette immersion offre une vision authentique des réalités autochtones. Ce ne sont pas seulement des histoires écrites cette fois-ci, c’est du vécu », ajoute le Guinéen, visiblement reconnaissant de cette initiative.
Claude Boivin : partager sa guérison spirituelle avec les jeunes
Claude Boivin voit dans le partage de son cheminement spirituel une rédemption miraculeuse, une promesse envers les ancêtres qui l’ont précédé. Il a passé sa vie à tenter de surmonter la colère et les traumatismes de ses années passées en pensionnat autochtone.
« Je me sentais perdu, en quête de mon identité, incapable de contrôler ma consommation d’alcool et de substances », raconte-t-il, les larmes aux yeux. « J’ai connu la prison et j’ai tenté de me suicider à plusieurs reprises, mais la mort ne m’a pas voulu. Malheureusement, j’ai des amis qui n’ont pas survécu à ce mode de vie », se remémore-t-il douloureusement.
Boivin faisait partie des plus de 150 000 enfants qui ont fréquenté les pensionnats autochtones au Canada, comme l’a indiqué la Commission de vérité et réconciliation du Canada (CVR). Beaucoup d’entre eux n’ont jamais pu en sortir. Selon la CVR, ces pensionnats autochtones ont été utilisés de manière systématique par le gouvernement pour détruire les cultures et les langues autochtones, afin d’assimiler les peuples autochtones et d’effacer leur existence en tant que peuples distincts. La CVR a qualifié cette politique de « génocide culturel ».
Depuis qu’il a embrassé la voie spirituelle, il affirme avec conviction être en paix avec lui-même, sachant qu’il a l’approbation de ses ancêtres. Ceux-ci sont sans doute fiers de le voir aujourd’hui agir comme porteur de savoirs traditionnels et conseiller spirituel auprès des jeunes en quête de leur identité.
Juliette Gravel, 25 ans, profite de ce séjour pour renouer avec sa culture autochtone et regrette de ne pas avoir pu interroger son grand-père, découvrant tardivement son héritage abénaquis.
L’hôte est ravi de constater que des jeunes comme Juliette repartent avec une vision authentique du patrimoine autochtone, en évitant les stéréotypes. « Ma fierté, c’est de voir ces jeunes repartir sensibilisés à notre mode de vie traditionnel et à notre culture. De les voir repartir avec une nouvelle vision de ce qu’est un Autochtone, différente de celle présentée dans les médias », conclut Claude Boivin.
Ce groupe est suivi par la visite d’une vingtaine d’autres universitaires qui franchissent les portes d’Aventure Plume Blanche dans les jours suivants, prêts à vivre une expérience similaire.