Une analyse d’Eric Richard
Le Parti québécois (PQ) réclame une nouvelle fois l’abolition du poste de lieutenant-gouverneur du Québec. Depuis maintenant un mois, le PQ attaque avec insistance un gouvernement somme toute désintéressé par la question. Comme il l’a fait à intervalles réguliers depuis plus de 25 ans, il dit le faire pour débarrasser le Québec d’un vestige « issus du colonialisme, trop coûteux et inutile ».
Cette fois-ci, par contre, le PQ n’a pas les moyens politiques de ses ambitions. Troisième groupe d’opposition (… de Sa Majesté, faut-il le rappeler !), le parti est actuellement 4e dans les sondages. Si des élections devaient se tenir ces jours-ci, le PQ perdrait presque assurément le statut de parti officiel à l’Assemblée nationale. Il ferait d’ailleurs sans doute élire la plus petite députation de son histoire.
En ce moment, pour le PQ, ramener le débat sur l’abolition de la monarchie au Québec va au-delà de la seule question du nationalisme. C’est assurément une façon de faire parler de lui, en plus de mieux faire connaître son nouveau chef, Paul St-Pierre-Plamondon. Ce débat lui permet aussi de mobiliser sa base et d’espérer ramener au bercail certains nationalistes récemment charmés par la Coalition Avenir Québec (CAQ).
Le temps presse pour le PQ : la prochaine campagne électorale provinciale sera déclenchée dans un an et demi. Le parti souverainiste doit se positionner plus tôt que tard et doit à tout le moins occuper son espace politique traditionnel.
Il y avait un certain temps que le PQ n’avait pas joué le jeu politique des wedge issues. Tout porte à croire qu’il le fait maintenant pour sauver sa peau.
Rien à gagner pour la CAQ
En face, à l’Assemblée nationale, François Legault et la CAQ arguent que d’autres dossiers paraissent plus urgents, surtout en temps de pandémie. Mais avouons qu’on pourra toujours trouver plus urgent que de débattre sur la place de la Couronne au Québec.
Avant d’arriver au pouvoir, la CAQ avait pris position sur cette question dans son manifeste Un nouveau projet pour les nationalistes du Québec (2015). Alors dans l’opposition, la CAQ y classait le poste de lieutenant-gouverneur parmi les « legs impériaux » dont il fallait ultimement se débarrasser.
Ceci étant dit, de façon plus terre-à-terre, on comprend les stratèges caquistes : pourquoi voudraient-ils changer une recette gagnante et ainsi risquer de perdre gros ? La CAQ dispose actuellement d’une avance impressionnante dans les intentions de vote au Québec. Si des élections devaient avoir lieu aujourd’hui, le parti pourrait voir sa majorité être renforcée d’une quinzaine de sièges.
À l’inverse, un débat interne sur la monarchie pourrait faire très mal à la CAQ qui, sur la question constitutionnelle, réussit à rallier fédéralistes et nationalistes.
À la guerre avec un tire-pois ?
De plus, abolir le poste de lieutenant-gouverneur d’une province n’est pas chose simple.
Par exemple, le PQ suggère régulièrement de doter le Québec de sa propre constitution interne. Selon la formation politique, cela permettrait au Québec de marquer son caractère distinct à l’intérieur du Canada. Le parti souverainiste s’appuie ainsi entre autres sur l’article 45 de la Constitution canadienne. Celui-ci permet à une province d’avoir (ou de modifier) sa constitution interne sans qu’elle ait à demander l’avis des autres provinces.
Par contre, dans le cas précis du poste de lieutenant-gouverneur, l’article 41 de la Constitution canadienne pourrait refroidir les ardeurs des antimonarchistes. Il stipule que, pour abolir ce poste, une province doit obtenir l’accord unanime des neuf autres provinces, en plus de celui de la Chambre des communes et du Sénat. Le soutien à la monarchie a beau s’effriter quelque peu dans le reste du Canada, selon de récents sondages, ses détracteurs sont encore loin de la coupe aux lèvres !
Concrètement, pour qu’une province réclame la réouverture de la Constitution, cela nécessiterait un mandat son Assemblée législative ou de sa population par voie de référendum. C’est, du moins, une des manières de faire mentionnées par la Cour suprême dans son Renvoi relatif à la sécession du Québec (1998). Comme nous l’avons vu, la CAQ ne semble pas pressée de faire adopter elle-même une telle motion par l’Assemblée nationale.
C’est probablement ce qui explique pourquoi la ministre responsable des Relations canadiennes, Sonia LeBel, laissait entendre la semaine dernière que la question de l’abolition du poste de lieutenant-gouverneur passerait plutôt par un éventuel référendum. Mais, encore là, on peut douter que la CAQ se dépêche d’organiser un tel vote. Après tout, elle tarde déjà à se pencher sur le dossier de la réforme du mode de scrutin dans la province.
Le possible allié albertain
Pendant ce temps, en Alberta, le gouvernement conservateur de Jason Kenney souhaite organiser un référendum dès l’automne prochain. Edmonton espère ainsi obtenir l’appui de sa population pour entamer des pourparlers constitutionnels et faire disparaître toute trace du programme de péréquation du paysage politique. De telles négociations ne sont jamais chose simple et les neuf autres premiers ministres provinciaux arriveront sans doute avec leurs propres demandes d’amendements constitutionnels.
À courte vue, certains pourraient être tentés de voir les demandes albertaines comme une occasion pour le Québec. Pourquoi ne pas négocier l’accord du Québec sur l’arrêt de la péréquation en échange de l’appui des autres provinces quant à l’abolition du poste de lieutenant-gouverneur ? Mais, rapidement, on en vient à conclure que l’échange ne serait pas équitable. Est-ce que cette abolition vaut la peine de perdre les 13,3 G$ reçus par le Québec en péréquation ?
Et qui pourra certifier que tous les parlements provinciaux accepteront effectivement la demande québécoise ? Plusieurs, au Québec, brandiront sans doute les épouvantails de Clyde Wells ou d’Elijah Harper. On réclamera les engagements les plus formels pour éviter un autre Meech.
Pourtant, si Legault ne saisit pas l’occasion de mettre en jeu le poste de lieutenant-gouverneur de la province, le PQ pourra toujours dire que la CAQ ne cherche pas véritablement à défendre les intérêts du Québec quand ça compte vraiment. L’inaction (ou l’échec) du gouvernement caquiste en matière constitutionnelle pourrait attiser la ferveur nationaliste au Québec et, par le fait même, le vote péquiste.
Bien qu’acculé au pied du mur, le PQ semble donc présentement jouer ses cartes avec astuce. Certains diraient l’énergie du désespoir.
Au contraire, quoi qu’elle fasse ou ne fasse pas, la CAQ sera la cible des attaques péquistes. En plus, à trop vouloir repousser la question à plus tard, elle risque de perdre gros.