Trump à l’assaut de la constitution américaine : un combat inachevé

JOU2310

Une analyse de Sam Malek

La tornade Donald Trump s’est estompée depuis qu’il a quitté la Maison-Blanche, mais une brise trumpiste persiste dans le climat politique américain. Avec une récolte d’environ 70 millions de votes lors de la dernière élection, l’ancien président bénéficie d’une base solide pour poursuivre son mouvement, qui a mis à rude épreuve l’équilibre constitutionnel du pays. Les vents risquent de se remettre à tourbillonner en 2024. Les rambardes de la constitution peuvent-elles résister à un deuxième assaut?

« On se souviendra du 20 janvier 2017 comme le jour où le peuple est redevenu maître de cette nation », déclare Donald Trump lors de son discours d’investiture présidentiel. Quatre ans plus tard, le thème demeure le même : « C’est vous qui êtes le vrai peuple. Vous êtes le peuple qui a construit cette nation. Vous n’êtes pas le peuple qui a détruit notre nation », dit-il à ses partisans le 6 janvier 2021. Trump termine ce discours avec émotion, assure à ses fidèles qu’il sera là avec eux, il les remercie pour leur amour. La foule, galvanisée et enragée, entame sa marche vers le Capitole.

La Trump Tower à Chicago – Photo de Carlos Herrero provenant de Pexels

L’idéologie derrière l’homme

Ainsi, Donald Trump commence et termine son mandat sous une même rhétorique. Tout au long de sa présidence, l’accent demeure sur le « vrai peuple ». Pour Trump, ce « vrai peuple » est celui qui ne croit pas aux fausses nouvelles des médias, qui en a assez de se faire flouer par « les autres », qui est appauvri par l’immigration et exploité par les élites. Le « vrai peuple » est innocent et, surtout, il est pur. Son slogan « Make America Great Again » implique d’ailleurs que l’Amérique est aujourd’hui impure et, avec une saveur nostalgique, fait appel au « vrai peuple » pour retrouver cet âge d’or, cette pureté perdue.

Pour saisir l’impact et l’avenir du trumpisme, encore faut-il le comprendre. Selon le professeur de science politique à Princeton et auteur du livre « Qu’est-ce que le populisme », Jan-Wermer Müller, une telle vision de la société n’a rien de nouveau : Trump est un populiste.

À la base, les populistes « considèrent que des élites immorales, corrompues et parasitaires viennent constamment s’opposer à un peuple perçu comme homogène et moralement pur, » précise Müller. Le chef populiste critique les experts, a recours à l’émotion, crée un état de crise permanent, est anti-pluralisme (cette tendance à exclure les autres), prétend être le seul à pouvoir représenter « le vrai peuple » ou la « majorité silencieuse », démontre une aversion envers les médias, ainsi qu’un déni des valeurs démocratiques.

Ainsi, l’idéologie trumpiste n’est pas l’invention de Trump, il ne s’agit que de sa version du populisme. Une idéologie plutôt mince selon le professeur et co-auteur du livre « Populism : A Very Short Introduction », Cas Mudde. Selon ce dernier, le populisme n’offre pas une vision holistique de la manière que la politique, l’économie et la société en général devraient s’organiser. L’idéologie se concentre surtout sur l’expulsion du pouvoir établi (« establishment »), sans spécifier ce qui le remplacera. C’est pour cette raison, explique Cas Mudde, que le populisme est souvent accompagné d’idéologies (de droite ou de gauche) plus substantives, telles que le socialisme ou le nationalisme. Dans ce dernier cas, nous n’avons qu’à penser à Viktor Orbán en Hongrie ou Marine Le Pen en France. Cette dernière tente toutefois de se recentrer afin d’augmenter sa base électorale, tout en repoussant les attaques provenant de son flanc droit d’un autre populiste, Éric Zemmour.

Dans le cas de Zemmour, il est difficile de ne pas faire de parallèle avec Trump. Un discours anti-immigration, une candidature « anti-establishment », une vision nostalgique du passé, des attaques contre les médias et la liberté de presse ainsi qu’une rhétorique raciste et misogyne dominent leurs plateformes politiques respectives. Zemmour se présente en « sauveur de la France » contre les hordes d’immigrants musulmans envahisseurs, tout comme Trump le faisait pour l’Amérique contre les illégaux Mexicains. Cela dit, quelques différences les distinguent. Trump, né dans l’opulence de sang bleu américain, demeure une personnalité quelque peu grossière, admirée et proche de la classe populaire. Alors que Zemmour, juif berbère provenant d’une banlieue modeste de Paris, est un intellectuel cultivé, membre de l’élite et diplômé de Sciences Po Paris. Selon Gregory Philipps, journaliste/directeur adjoint de la rédaction pour France Culture et ayant couvert la présidence Trump, ces différences ne sont pas sans conséquence. Zemmour n’est pas la bête de scène qu’est Trump, il n’a pas réussi à parler aux classes populaires, précise Philipps. Ceci se reflète dans les derniers sondages français où Zemmour peine, pour l’instant, à arracher au camp Le Pen son vote « ouvrier ».

Pour sa part, Trump profite d’un statut quasi mythique pour plusieurs membres des classes populaires, il bénéficie d’une adoration (parfois fanatique) de presque la moitié de l’électorat américain. C’est ce culte, combiné à l’idéologie populiste propulsée par un homme hyper charismatique, qui s’est abattu sur la démocratie américaine pendant quatre ans. Comment celle-ci a-t-elle pu tenir le coup?

« Si les hommes étaient des anges, aucun gouvernement ne serait nécessaire », écrit le co-auteur de la Constitution américaine, James Madison, sur la nécessité de prévoir des garde-fous aux pouvoirs gouvernementaux. Depuis 1787, ce système de poids et contrepoids assure un partage équilibré entre les organes du pouvoir aux États-Unis. James Madison ne connaissait pas Donald Trump.

Un système fragilisé

Le système de « checks and balances » (poids et contrepoids) vise surtout à contenir le pouvoir exécutif à l’égard des deux autres pouvoirs (législatif et judiciaire). Les pouvoirs inhérents de chacun sont donc limités par ceux des deux autres.

Pour ce qui est du président par exemple (à la tête de l’exécutif), bien qu’il soit le commandant en chef des forces militaires, c’est le Congrès (la branche législative) qui finance et déclare la guerre. Dans certains cas, le président peut diriger par décrets, mais, encore une fois, ceux-ci demeureront souvent stériles sans le financement du Congrès. Le président guide l’agenda législatif, mais la Cour suprême annulera toute loi jugée anticonstitutionnelle. Le président nomme les fonctionnaires fédéraux et les juges à la Cour suprême, mais ceux-ci requièrent la confirmation du Sénat avant d’entrer en fonction. Le véto présidentiel sur un projet de loi peut être outrepassé par un vote d’une majorité spéciale (deux tiers) des deux chambres législatives.

Un tel système est donc historiquement bien outillé pour résister aux attaques frontales d’un président voulant renverser l’ordre établi ou préférant le trône d’un monarque au bureau ovale. Or, Trump n’est pas un contre-révolutionnaire, c’est un populiste. Selon Cas Mudde, les populistes au pouvoir tendent à saper les contre-pouvoirs (incluant les médias et les autres partis politiques) par l’entremise de manœuvres majoritairement légales. Le populiste s’éloigne d’une répression classique, préférant une série de gestes qui rongent lentement les fondations démocratiques, précise Mudde. Ce faisant, le populiste use ses opposants avec le temps, fragilisant les contrepoids des démocraties libérales petit à petit.

En nommant des juges à son image à la Cour suprême, en s’assurant la fidélité presque totale des élus républicains au Congrès (sous menace de retirer son appui à leurs élections), en congédiant tout fonctionnaire osant lui tenir tête, en minant la crédibilité des médias, Trump a réussi à affaiblir les contre-pouvoirs en place.

Les recours aux tribunaux sont soumis à un long processus judiciaire, incluant de multiples paliers d’appels et, parfois, des influences politiques. Un populiste sait bénéficier de ces délais. Normalement, le contrepoids du pouvoir législatif doit dès lors s’imposer pour colmater toute brèche. Cependant, sous Trump, plusieurs républicains asservissent le président, préférant loyauté à leur chef plutôt qu’à la Constitution. Les rambardes de la démocratie alanguies, que restait-il pour contrer Donald Trump?

Selon le professeur de droit à l’université Columbia, Tim Wu, la réponse ne se trouve pas dans la Constitution, mais bien dans la droiture de quelques individus incorruptibles. D’abord, l’indépendance des procureurs fédéraux et leur refus de suivre aveuglément les directives de Trump (refus d’enquêter sur la famille de Joe Biden ou décision de poursuivre des alliés de Trump par exemple). Deuxièmement, la décision des généraux d’honorer une coutume de non-ingérence des forces militaires dans la politique interne. Finalement, l’intégrité des fonctionnaires de certains États lors du dernier scrutin, résistant aux pressions du président voulant miner le processus électoral à son bénéfice. Bref, la démocratie a tenu le coup, mais ce ne sont pas les contrôles structuraux de la Constitution qui montent au créneau pour la défendre, mais bien la bienveillance et l’intégrité de quelques individus. La république sera-t-elle aussi fortunée advenant un deuxième assaut?

Trump, toujours Trump

Malgré sa défaite aux mains de Joe Biden, le parti républicain semble demeurer sous l’emprise de Donald Trump. Selon un récent sondage Economist/YouGov, plus de 70% des républicains ne font pas confiance aux résultats électoraux de 2020. Trump attire toujours d’énormes foules et demeure craint au sein du caucus. À part quelques rares exceptions, tous les candidats républicains potentiels à la présidence attendent la décision de Trump avant de lancer leur campagne, jugeant qu’opposer l’ancien président serait un suicide politique.

« La démocratie, au sens de la souveraineté populaire et de la règle de la majorité, où le peuple élit ses dirigeants, même Poutine soutient ceci, même Erdogan soutient ceci », explique Cas Mudde, « mais ils le soutiennent dans une situation où il est virtuellement impossible pour leur opposition de se mobiliser. Le populisme renverse les garde-fous des démocraties libérales ». Or, Trump a perdu en 2020. Son refus de reconnaître le résultat des élections laisse présager qu’il ne laisserait pas son opposition se mobiliser autant la prochaine fois.

Rachel Caufield, professeure en science politique à l’université Drake à Des Moines dans l’Iowa est catégorique, Trump est même en meilleure posture qu’en 2016. Il bénéficie d’un réseau de levée de fonds établi, précise-t-elle, une équipe plus expérimentée pour mener sa campagne électorale et un parti républicain qui, contrairement à 2016, est aujourd’hui garni de ses loyalistes (autant au niveau fédéral que dans les États). Ajoutez à ceci un trésor de guerre qui avoisinerait déjà les 200 millions de dollars américains, et on constate que Trump semble bien en selle pour un retour en 2024.

Si tel est le cas, les remparts constitutionnels de Madison et des autres Pères fondateurs auraient avantage à se fortifier d’ici là, car le candidat républicain ne sera pas un ange.

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