Par Marc Sandreschi
Dernier État à faire faux bon à Taïwan, le Guyana se range du côté de Pékin. Devant cette volte-face, la Chine poursuit son offensive dans son objectif de réunification. Remportera-t-elle son pari de reprendre l’île jadis perdue ?
Cette nouvelle crise survient après que le petit État d’Amérique du Sud ait « déchiré » l’accord qu’il avait signé en janvier avec Taïwan, une entente qui permettait à cette dernière d’y ouvrir un bureau commercial. Non pas que le Guyana tienne un rôle important sur l’échiquier mondial, mais ce recul est un autre signe de la diminution des appuis internationaux auprès de « l’île rebelle » et indépendante de facto qui rêve d’une autonomie juridique.
Devant ce bras de fer entre les « deux Chine », assisterons-nous à un retour forcé de Taïwan au bercail ? Ou à la naissance d’un nouvel État, dirigé par Tsai Ing-Wen, femme démocratiquement élue et reconduite pour un deuxième mandat ? Afin de bien comprendre la situation, une analyse sous divers angles est nécessaire.
Un bilan de la COVID-19 enviable
Au 28 février 2021, celle que Pékin qualifie de province chinoise ne compte que 9 morts des suites de la pandémie, selon des statistiques provenant du Johns Hopkins Coronavirus Resource Center.
En mai 2020, les diplomaties américaine, britannique, canadienne, allemande, japonaise, française, australienne et néo-zélandaise interviennent. Ces dernières demandent à l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) d’accorder une place d’observateur à Taïwan dont le bilan des cas de contamination se chiffre uniquement à 440 personnes, avait-on pu apprendre de Radio-Canada. Mais, devant l’opposition de la Chine, l’OMS n’ose pas contrarier le géant.
Déjà en septembre 2018, Le Figaro faisait état de la position fort avantageuse de la Chine continentale au Conseil de sécurité des Nations Unies (ONU) en la qualifiant de « troisième contributeur au budget ordinaire des Nations Unies ».
Cet état de fait découle sans aucun doute de la résolution 2758, adoptée en 1971 par l’Assemblée générale de l’ONU, qui pouvait se lire ainsi: « Considérant que le rétablissement des droits de la République populaire de Chine est indispensable […]. Reconnaissant que les représentants de la République populaire de Chine sont les seuls représentants légitimes de la Chine à l’Organisation des Nations Unies […]. »
Ce rétablissement marquait le premier « coup d’assommoir » sur Taïwan qui perdait un siège occupé pendant près de 22 ans et par le fait même la reconnaissance d’être LA représentante chinoise.
Une Chine à deux systèmes
Alors que des puissances telles que les États-Unis, la Russie, la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne — pour ne nommer que celles-ci — ont jadis reconnu la légitimité de Taïwan, le portrait est aujourd’hui fort différent : celles-ci ont désormais accordé une reconnaissance publique à Pékin et seuls quinze États appuient encore « l’insoumise », comme l’indique un tableau d’Infogram qui permet d’y dresser ce constat en 2021.
Pendant que la Chine communiste met de la pression sur sa province en tentant de l’isoler du reste du monde, le gouvernement taïwanais rejette l’unification et jette de l’huile sur le feu : « Seuls les Taïwanais peuvent décider du futur de Taïwan, » pouvait-on déjà lire dans Le Figaro en 2018.
Et justement, Taïwan fait figure d’enfant modèle. Que ce soit dans sa façon de gérer les crises sanitaires, sur le plan de l’éducation et de la protection de l’environnement, ainsi que sur celui des droits individuels comme la liberté d’expression, Taïwan cumule les bonnes notes.
Témoin du détachement de sa province, le géant chinois se trouve devant un conflit idéologique. Un désir grandissant de devenir la puissance mondiale numéro un d’ici 2049, puissance mondiale qui n’est pas en mesure de rappeler à l’ordre sa province réfractaire.
La Chine continentale poursuit donc son assaut. À coup d’ententes commerciales aux quatre coins de la planète, est-elle en train d’augmenter le nombre d’appuis qui pourraient servir de levier légitime à une prise par la force de « l’indomptable » ?
L’armée chinoise se modernise
Parlant d’un éventuel assaut par le régime communiste chinois, ce dernier brandit sa puissance en exposant son arsenal militaire. En janvier 2021, la Chine menace sa province, au point d’amener Taipei à activer son bouclier antimissile face à la présence récurrente de bombardiers et d’avions de chasse dans le détroit de Taïwan, soutient le magazine La Croix.
Selon un rapport de l’agence de renseignement militaire américaine (DIA), Pékin a fait de la réunification de l’île au continent « le principe moteur de la modernisation militaire de la Chine », indique Le Figaro en 2019. Et pour y arriver, la toute-puissante a notamment modernisé sa flotte de navires de guerre, ses sous-marins ainsi que ses missiles à courte et moyenne portées. Considérés plus modernes que les missiles américains et russes, ils pointent directement vers Taïwan.
Plus tôt en 2018, le Figaro avait fait allusion au fait que l’armée chinoise avait mené des exercices navals à balles réelles dans le détroit de Taipei, et ce, alors que le gouvernement Trump multipliait des gestes permettant d’établir son rapprochement avec le gouvernement de Taïwan.
Force est d’admettre que la Chine lance un puissant message à « l’incorrigible », mais aussi au reste du monde.
Un retour de Taïwan dans le giron de la Chine ?
Face à l’abandon de Taïwan par les grandes institutions internationales, face au détachement de plusieurs pays à la cause de « l’indépendantiste » et face à la démonstration de la puissance militaire chinoise, n’est-ce qu’une question de temps avant que Taïwan plie l’échine et montre patte blanche ? Ne concluons pas trop vite.
Taïwan ne fait plus figure d’enfant : son émancipation est flagrante. L’indépendante de facto n’a pas besoin de son « parent chinois » et de porte-parole pour manœuvrer dans la sphère économique. Que ce soit sur le plan des importations ou des exportations, elle sait jouer dans la cour des grands.
En décembre 2020, le site La finance pour tous fait notamment l’éloge de l’île alors qu’une année frappée par la pandémie est sur le point de se terminer. Il y est d’ailleurs mentionné : « La bonne insertion de Taïwan dans le commerce international lui a […] permis de répondre à la demande mondiale, grâce à une croissance de ses exportations. »
Le service économique du bureau français à Taipei fait aussi état de la situation telle qu’observée en 2019. Fort curieusement, la Chine continentale demeure le premier partenaire commercial de Taïwan. Elle est ensuite suivie des pays du Sud-Est asiatique, du Japon, des États-Unis et de l’Union européenne.
D’ailleurs, selon l’Organisation mondiale du commerce (OMC), son commerce international représentait 62 % de ses activités entre 2016 et 2018.
Le géant américain n’a pas dit son dernier mot
Joe Biden, le nouveau président des États-Unis, semble suivre la route empruntée par son prédécesseur quant à la délicate question du comportement de cette Chine de plus en plus agressive. Le président s’est prononcé en ce sens lors de son premier discours sur la politique étrangère du nouveau gouvernement américain. Et face à la présence musclée des forces chinoises dans le détroit, le département américain s’est montré sans ambiguïté : « Le soutien des États-Unis à Taïwan est solide comme le roc malgré les intimidations de la Chine, » cite La Croix.
Quant au président sortant Donald Trump, il a manifesté à plus d’une occasion durant sa présidence son appui à Taïwan. Que ce soit par des déclarations publiques ou par la vente d’armes, la plus grande puissance mondiale a tranquillement changé son fusil d’épaule. D’ailleurs, La Croix cite l’analyste Jean-Pierre Cabestan, professeur de sciences politiques à l’Université Baptiste de Hong Kong et chercheur associé à Asia Center : « Même sans relations diplomatiques officielles, les États-Unis restent les alliés les plus puissants de Taïwan, qui lui achète des armes. »
Quoique le rêve d’indépendance ne soit pas encore sous respirateur artificiel, une prudence est de mise : malgré la navigation dans les eaux troubles du détroit, le statu quo semble vouloir demeurer.