Prostitution de mineurs : décriminaliser pour mieux protéger?

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Par Lucas Sanniti

Vendre des services sexuels est légal au Canada depuis presque dix ans, mais on ne peut pas en faire la promotion. Les clients, eux, n’ont pas le droit de solliciter ou de payer pour faire appel à des travailleuses ou travailleurs du sexe. Dans sa loi C-36 de 2014, le gouvernement fédéral voulait reporter sur le client la responsabilité criminelle du commerce sexuel et réduire l’exploitation des professionnels qui offrent leurs services. Sauf que les personnes qui peuvent contribuer à leur sécurité, comme des chauffeurs, tombent aussi sous le coup de l’illégalité.

Il est grand temps de mettre fin aux incohérences de la loi C-36, croit Jeanne Toustou, responsable à la sensibilisation et chargée de projet du Projet d’intervention auprès des mineur·es prostitué·es (PIaMP). Sans aller jusqu’à réclamer la légalisation de la prostitution au pays, elle plaide à tout le moins pour sa décriminalisation, ce qui permettrait d’assurer un environnement de travail sécuritaire aux professionnels du sexe, particulièrement les mineurs.

Un peu comme on le fait face aux drogues, elle souhaite qu’on se consacre à la réduction des méfaits plutôt que de criminaliser le commerce sexuel. En mettant ainsi fin à la stigmatisation entourant les professionnels du sexe, croit-elle, on comprendrait aussi que tous et toutes ne sont pas des victimes. 

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Lucas Sanniti (L.S.) : Au PIaMP, vous utilisez une approche basée sur la réduction des méfaits pour épauler les travailleurs et travailleuses du sexe. Comment vous y prenez-vous et pourquoi cette approche est-elle avantageuse?

Jeanne Toustou (J.T.) : On ne considère pas les échanges sexuels en soi comme un problème. Nous voulons plutôt aider la personne dans sa situation actuelle. Par exemple, si la personne vient nous voir pour avoir de l’aide afin de trouver un logement, un nouvel emploi ou un emploi additionnel, ou refaire son C.V., nous serons là pour elle. Nous savons pertinemment que de rendre l’échange de services sexuels illégal n’éliminera pas cette pratique pour autant. Alors, nous tentons plutôt d’épauler ces personnes dans leurs décisions et de réduire les conséquences potentiellement négatives que ces pratiques peuvent amener, soit en les encadrant ou en les dirigeant vers des ressources adaptées.

L.S. : Sachant que le commerce de services sexuels est légal depuis 2014, pourquoi les professionnels du sexe hésitent-ils encore à faire appel aux forces policières lorsqu’ils rencontrent des difficultés?

J.T. : De façon générale, ils n’ont pas tendance à vouloir aller chercher de l’aide auprès de services qu’ils considèrent comme ayant une approche répressive ou humiliante. Dans le cas du travail du sexe, les forces policières ont souvent une démarche de ce genre. Puis, plusieurs jeunes nous ont mentionné que la qualité des services médicaux ou psychosociaux qu’ils reçoivent diminue après avoir dévoilé leur activité professionnelle.

C’est difficile quand on est considéré comme une nuisance, un délinquant ou une victime plutôt qu’une personne. Nos clients sont souvent des personnes racisées, ou encore visiblement queers. Dans ces cas, les facteurs d’oppression et de discrimination s’additionnent. Il y a, de leur part, un gros déficit de confiance envers les policiers. 

De plus, si un professionnel du sexe porte plainte à la police, il risque d’incriminer involontairement des collaborateurs, comme des chauffeurs ou des personnes responsables de la sécurité ou de l’administration. 

L.S. : Le PIaMP intervient principalement auprès des personnes mineures. De quelles façons leur réalité diffère-t-elle de celle des adultes? 

J.T. : Pour les personnes de moins de 18 ans, il est complètement illégal de faire le commerce du sexe. Mais dans la réalité, on sait qu’elles le font quand même. Ce que l’on voit beaucoup, ce sont des jeunes qui sont en exploration. Il est très rare de voir ces jeunes tomber dans le monde de la prostitution du jour au lendemain.

Ça commence souvent par des choses qui semblent anodines. Des jeunes iront dans des fêtes et vont échanger des services sexuels contre des consommations, ou vont coucher avec quelqu’un en échange de billets de spectacle. D’autres vont échanger des services sexuels parce qu’ils sont dans la rue, qu’ils ont besoin d’un toit, d’un endroit où dormir pour la nuit.

Certains jeunes extrêmement marginalisés n’ont pas le choix : c’est ça ou c’est la fin. Il y a très peu d’espace dans les refuges pour eux, et la durée des séjours est trop courte pour que ce soit une solution à long terme. Il n’y a pas suffisamment de logements subventionnés, de programmes de retour aux études ou d’aide financière. Ces jeunes sont coincés dans cet engrenage. 

Dans les cas où l’on fait affaire avec des personnes mineures, le PIaMP ne fait pas systématiquement de signalements à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ). De toute façon, on détient rarement plus que le prénom ou le surnom de la personne impliquée. Si l’on fait appel à la DPJ, le jeune fera toujours partie du processus. On l’incite habituellement à signaler lui-même la situation dans laquelle il se trouve.

L.S. : Comment la décriminalisation des échanges sexuels rendrait-elle ce travail plus sécuritaire?

J.T. Ça permettrait aux travailleurs et travailleuses du sexe d’avoir accès à des services d’aide reconnus. De plus, une décriminalisation du travail du sexe contribuerait à une déstigmatisation et à une meilleure compréhension par le public de la réalité des gens qui pratiquent ce métier. 

L.S. : Quelles sont les plus grandes difficultés pour les personnes qui souhaiteraient quitter le monde de la prostitution?

J.T. : Le plus gros défi, c’est la stigmatisation qui y est liée. Par exemple, si une personne a pratiqué des échanges sexuels pendant quelques années et qu’elle doit expliquer à un futur employeur ce trou temporel dans son C.V., il est normal qu’elle ait une certaine réticence à le faire, de peur de compromettre ses chances d’embauche. 

Même quand on en a la volonté, il est parfois difficile de sortir du milieu des services sexuels qui offre une grande flexibilité d’un point de vue financier et de l’horaire : en quelques jours, une personne peut gagner les revenus qu’elle tirerait en un mois dans un emploi dit « normal ». 

Pour d’autres, c’est un choix délibéré de faire ce métier. Il faut éviter de penser qu’un travailleur ou une travailleuse du sexe est automatiquement une victime.

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