Par Marc Sandreschi
Le 18 février dernier, le projet de loi C-22 a passé le test de la première lecture et, au menu, la possibilité de déjudiciariser la possession simple des drogues au Canada. Alors que plusieurs espéraient que le gouvernement Trudeau la décriminalise une fois pour toutes, ils sont restés sur leur appétit.
Si cette loi voit le jour sans quelques coups de pinceau additionnels, la porte demeurera donc bien ouverte afin de criminaliser la possession des drogues au pays. Et, make no mistake, malgré le fait qu’elle avait déjà été retirée de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (LRCDAS) en 2018, la possession d’une quantité de cannabis supérieure aux limites fixées par la Loi sur le cannabis est encore à ce jour passible d’une peine d’emprisonnement.
Forte d’une expérience en intervention de plus de 15 ans au Québec et à l’international, la directrice générale du Groupe de recherche et d’intervention psychosociale (GRIP) Magali Boudon nous a livré une entrevue où elle a accepté de plonger sans craindre de faire de vagues :
« Ce projet de loi est une réponse qui n’en est pas une ! », affirme-t-elle tout en ajoutant que le gouvernement a réagi aux revendications sans vraiment changer les choses : « Tous les jours, de nouvelles personnes meurent de surdoses reliées aux opioïdes et les groupes d’intervention en toxicomanie étaient las de faire des annonces de décès. »
Comme on le dit si bien au Québec, les « bottines doivent suivre les babines » et Magali Boudon nous explique pourquoi cette résolution politique ne sera pas d’un grand secours pour réduire les problématiques entourant les drogues.
Le consommateur n’est pas un malade
Elle précise que l’amendement législatif ne freinera pas la consommation dangereuse tandis que maintenir le stigmate voulant que le consommateur ait un problème de santé est une erreur : « Il n’est pas un malade. Si on lui donne le choix, il prendra une drogue dont la qualité sera assurée et il le fera dans un environnement sécuritaire. Il faut cesser de le traiter comme un enfant ! »
L’expérience de la directrice du GRIP l’amène à affirmer que le toxicomane n’est pas une nuisance publique, au même titre qu’une personne qui prend quelques verres de trop ne l’est pas non plus. À la différence que le « drogué », on lui colle une étiquette à la peau.
La lecture du projet de loi permet d’apprendre qu’il est fondé sur certains principes, notamment : la consommation problématique doit être principalement abordée comme un enjeu social et un enjeu de santé ; il faut prendre en considération le risque de stigmatisation découlant de sanctions pénales.
« Assouplir pour assouplir ne donne rien ! »
– Magali Boudon, GRIP
En somme, associer le consommateur à un criminel ou à une personne malade demeure un stigmate, ce que la directrice du GRIP condamne.
Jean-François Mary, directeur général de Cactus Montréal (organisme communautaire qui offre plusieurs services d’aide aux toxicomanes), s’est à son tour confié à nous. À ses yeux, C-22 ne réglera pas les surdoses et les décès à Montréal : « Ce projet de loi ne règle que des enjeux juridiques. » Selon lui, le véritable enjeu est économique puisque le consommateur se tournera à nouveau vers le trafiquant, car ce dernier est en mesure de réduire le prix de sa drogue en la mélangeant avec d’autres substances, comme cela a pu être observé lors de la crise du fentanyl.
Le travail des policiers
Les policiers arpentent les rues de Montréal au quotidien. Ce sont souvent eux qui trouvent une personne en train de s’injecter de l’héroïne dans une ruelle. Ce sont eux qui répondent à un appel provenant d’un commerce lorsqu’une personne utilise la salle de bain pour se « shooter de la dope » à l’abri des « flics ».
Les jeunes policiers doivent être mieux formés
– Magali Boudon, GRIP
Selon Magali Boudon, les policiers d’expérience — ceux qu’elle qualifie de « vieux » — sont humains et sensibles. Les plus jeunes — ceux qui sortent des bancs d’école — arrivent souvent avec une mentalité beaucoup plus rigide. Lorsqu’ils débutent leur carrière, ces jeunes patrouilleurs appliquent aveuglément la loi, suivent le code et oublient que, derrière la seringue, il y a un être humain. En revanche, la spécialiste en intervention psychosociale n’y voit aucune mauvaise foi, mais qu’un manque de formation et de vécu.
À ce titre, Jean-François Mary de CACTUS explique que les victimes de surdoses évitent d’appeler le 911, car lorsqu’elles le font, les policiers en profitent pour leur soutirer des informations et les « enquêter ».
Nos vérifications nous permettent de confirmer que le cursus des diverses institutions collégiales qui offrent le programme de Techniques policières est aussi composé de cours d’intervention en situation de crise, de cours sur les relations communautaires et sur les drogues.
Quant à l’École nationale de police du Québec (ENPQ) où les aspirants policiers complètent leur formation, l’approche par compétence est mise en valeur. Or, le site internet de l’ENPQ décrit les cibles de cette approche : la violence conjugale, la santé mentale, la diversité et le profilage, la maltraitance des ainées et des enfants ainsi que l’approche client où l’on met l’accent sur la dimension sociocommunautaire.
Il n’en demeure pas moins que la fonction première d’un policier est celle d’appliquer la loi.
Il existe des solutions
Toujours selon Magali Boudon, il existe plusieurs solutions.
Par exemple, augmenter le type de drogues pouvant être prescrites afin que le consommateur puisse y recourir sans devoir acheter un produit qui contient divers éléments nocifs ; s’assurer que le produit est contrôlé par des équipes multidisciplinaires. Ainsi, elles seraient composées de chimistes qui évalueraient la substance avant qu’elle soit remise au consommateur. Des médecins feraient partie de ces équipes afin de s’assurer que le consommateur ne développerait pas de troubles de la santé à la suite de sa consommation.
Le modèle proposé par Magali Boudon a jadis été évalué par les autorités portugaises avant que ces dernières adoptent la loi qui décriminalisait la possession de toutes les drogues en 2000. Le ministre de la Justice Almeida Costa avait proposé que l’État devienne le fournisseur de drogues contrôlées, tel qu’il est permis de l’apprendre d’une étude juridico-politique sur le phénomène des drogues au Portugal entre 1970 et 2004.
La position du gouvernement
Un représentant du ministre de la Santé n’a pas directement répondu à nos questions quant au choix qui a été fait de déjudiciariser plutôt que décriminaliser la possession des drogues. Il s’est limité à expliquer que l’approche était concentrée sur la réduction des méfaits. Pour y arriver, le gouvernement vise à soutenir la Loi sur les bons samaritains et à financer les organismes d’aide.
La loi sur les bons samaritains a été mise en vigueur en mai 2017 et permet à une personne d’appeler le 911 lors d’une situation de surdose sans risquer de se faire accuser de possession d’une substance illicite.
Il est à noter que C-22 prévoit retirer plusieurs peines minimales de la LRCDAS qui lient les juges lorsque vient le temps d’imposer des sentences, mais aucune de ces peines ne touche à la possession d’une substance en vertu de son article 4. Alors qu’il était au pouvoir entre février 2006 et novembre 2015, le gouvernement Harper avait adopté une série d’amendements qui mettaient en place l’imposition de plusieurs peines minimales.
L’administration Trudeau aura donc choisi. Dans une période où certaines sources prédisent qu’il déclenchera bientôt des élections, il aura choisi de transférer la responsabilité aux forces de l’ordre et à la poursuite, mais en leur donnant les munitions nécessaires.
Appuyées d’un texte de loi, les forces de l’ordre et la poursuite auront le pouvoir de décider si elles dénoncent l’infraction et portent des accusations ou si elles gracient le consommateur en lui offrant des mesures de rechanges. Parmi les mesures proposées : la police lui fait des gros yeux et le laisse partir ou, s’il consent, on le dirige vers un organisme d’aide.
Déjà en août 2020, la Couronne fédérale avait tranché et émis des directives à ses procureurs afin que des accusations ne soient déposées que dans les cas les graves, soit lorsque la sécurité publique était sérieusement menacée.
Malgré certaines avancées du gouvernement Trudeau, aux yeux de Magali Boudon, nous sommes loin d’une révolution.