Le niqab a fait couler beaucoup d’encre. Politiciens et médias se sont donné le mot pour en faire des débats fervents et « des unes » accrocheuses, durant les élections fédérales du Canada. Pourquoi le niqab a-t-il suscité et suscite encore autant de polémique et en quoi pourrait-il favoriser la division entre les différentes communautés? Enfin, en quoi une médiatisation exacerbée du niqab peut-elle être un danger pour la société canadienne?

Zunera Ishaq, une candidate d’origine pakistanaise portant le niqab, refuse de le retirer lors du serment de citoyenneté. Elle conteste devant la Cour fédérale du Canada le bulletin de décembre 2011. Celui-ci contraint les candidates voilées intégralement de se découvrir le visage lors du serment. Zunera Ishaq prête son serment de citoyenneté avec son niqab le 9 octobre 2015. Avant cette date, les débats sur ce sujet se sont calmés pour reprendre en septembre 2015, juste au moment où la campagne électorale battait son plein.

Le fait de s’entretenir avec quelqu’un qui ne montre pas son visage peut être inconfortable, certes. Mais l’État est là pour poser la question en toute objectivité : est-ce que le fait de se présenter à visage couvert à une cérémonie d’assermentation n’est pas un délit? Est-ce que le fait de refuser de se dévoiler le visage est un droit? ET c’est le rôle de l’État de trouver des réponses, donc des solutions. Des solutions qui ressembleraient en quelque sorte à celle prises lors de l’assermentation de Zunera Ichaq, il y a deux semaines. C’est-à-dire donner la possibilité à la candidate de s’identifier auprès d’une représentante de la Citoyenneté et Immigration Canada à visage découvert, dans un bureau retiré, juste avant la cérémonie.

Il est normal de débattre sur la question de l’assermentation sans se découvrir le visage, tant cette cérémonie est porteuse de symbolique. Il est normal, également, que la burqa suscite un débat, vu le sens de son port (que la casquette et le chapeau n’ont pas). Mais le débat sur cette même symbolique a pris une tournure dangereuse. Comment un simple fait lié à une protestation d’une femme, pourrait-il créer une polémique qui, à son tour, créerait une division? D’autant que depuis 2011, deux femmes seulement sur 686 195 personnes ont refusé de prêter leur serment de citoyenneté sans ôter leur niqab.

L’affaire du niqab est loin d’être un fait divers. Elle est devenue l’un des sujets favoris, si ce n’est le premier, de certains médias et certains hommes politiques durant la campagne électrode. Commençons par ces derniers.

Politiciens : Stephen Harper semblait être préparé au sujet de la burqa

Pour s’attaquer au Nouveau parti démocratique (NPD), le Bloc québécois met en ligne une publicité montrant une tache d’huile se transformer en niqab. Un texte accompagnant la vidéo accuse le NPD de soutenir le niqab. La vidéo se termine par la phrase : « C’est la goutte de trop. Je retourne au Bloc.» Cette vidéo fait réagir, violemment, les internautes mais aussi le porte-parole du NPD, Karl Bélanger. Celui-ci répond sur tweeter : «Le Front National (FN) vient de faire son entrée dans la campagne.» Ce qui a davantage choqué les internautes, sachant que le FN est un parti français d’extrême-droite, dont la chef, Marine Le Pen, a des idées controversées par rapport à l’islam et aux musulmans de France .

Le 24 septembre dernier, les cinq candidats s’entretiennent sur le même plateau pour la première fois sur la chaîne Radio-Canada. Plusieurs questions sont abordées mais c’est celle du niqab qui suscite les échanges les plus houleux.

Stephen Harper, déclare qu’«On ne devrait pas cacher son identité quand on se joint à la famille canadienne ». Le chef du parti néo-démocrate NPD, Thomas Mulcair accuse le chef conservateur de faire diversion sur les autres enjeux au détriment de l’affaire du niqab. Gilles Duceppe, chef du Bloc québécois, fait savoir qu’il est question d’égalité entre homme et femme. Elizabeth May, chef du Parti vert, qualifie le sujet de « faux débat ». « Quel est l’impact du niqab sur l’économie, sur les changements climatiques? », soulève-t-elle. Et tout comme Mulcair, elle voit en ce débat une «récupération politique pour distraire des vrais défis».

Le chef libéral, Justin Trudeau et actuel premier ministre du Canada, accuse quant à lui, Stephen Harper de pratiquer une « politique de peur et de division ». Une accusation qui semblerait hâtive de la part du chef  libéral face au conservateur. Mais lorsqu’on voit la tournure que l’affaire du niqab a pris ces derniers temps, juste au moment des élections, on remet en question certaines donnes.

Après trois ans, l’affaire du niqab lors de l’assermentation refait surface en septembre 2015, juste au moment où les partis politiques préparent leur campagne électorale. Le Parti conservateur s’engage à déposer un projet de loi pour obliger tous les candidats à la citoyenneté de faire l’assermentation à visage découvert. Le projet de Stephen Harper ne s’arrête pas là : l’ancien premier ministre n’exclue pas la possibilité d’interdire le niqab aux fonctionnaires. Un projet soutenu par le Bloc québécois.

Ces projets ont balayé la nécessité d’ouvrir une enquête sur la disparition des 1200 Autochtones. Rappelons que Stephen Harper a refusé catégoriquement une perspective de déclencher une commission d’enquête. Comme si Stephen Harper mettait sur la balance l’argument le plus porteur pour réussir sa campagne. Le choix était clair. Il était préparé à la question du niqab.

Françoise David, porte-parole parlementaire de Québec (et de Québec solidaire) montre du doigt Stephen Harper et dénonce son exploitation du sujet pour des fins politiques.

« Que des parties politiques particulièrement les conservateurs finissent par faire du niqab l’enjeu électoral de tout premier plan se posant grand défenseur des femmes, là je dis stop », martèle-t-elle au Parlement.

Toutefois, Mme David approuve l’interdiction du port du niqab lors de la cérémonie de citoyenneté, tout comme l’Assemblée nationale à l’unanimité. Au même moment, elle adopte une motion pour condamner les propos et les gestes haineux.

Les débats sur le niqab exacerbent l’islamophobie

Selon Mme David, les débats sur le niqab exacerbent l’islamophobie. Il n’y qu’à voir les messages postés, lors de la campagne électorale, sur les réseaux sociaux pour le comprendre. Des internautes se lâchent sur la toile pour exprimer leur haine envers les musulmans, les mettant dans le même sac que les intégristes. « Un certain nombre de gens mêlent tout : djihad, niqab, islam, radicalisation », soulève la porte-parole du Parlement. « Tout est mêlé, alors qu’en fait – et c’est important de le dire – l’immense majorité de nos concitoyens de confession musulmane ne veulent qu’une chose : vivre en paix au Québec, en intégrant les valeurs québécoises d’égalité entre les hommes et les femmes. Ils veulent vivre en paix et rejettent toutes ces formes de conservatisme et de radicalisme », ajoute-t-elle en évoquant les messages haineux postés sur les réseaux sociaux et les gestes déplacés envers les femmes voilées.

Une telle surenchère n’est pas née d’elle-même. Selon le cheminement des faits, ce sont les pouvoirs politiques qui en ont fait un sujet aussi sensible au départ. Les médias ont suivi. Ou vice-versa. Et là, on pourrait rentrer dans une sphère délicate : influence de l’opinion publique. Au Parlement, la ministre de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, Kathleen Weil, le souligne : «ce débat vient déséquilibrer finalement l’opinion publique.»

Influence de l’opinion publique

Un exemple de l’exclusion de deux sœurs de leur lycée en France peut nous mettre dans le contexte de cette influence. En octobre 2003, Alma et Lila Levy-Omari sont exclues définitivement de leur lycée d’Aubervilliers pour avoir refusé d’enlever leur voile en classe. Leur avocat, Mouloud Aounit, s’indigne de la brutalité de la décision prise. L’exclusion définitive des deux lycéennes et ce manque de discernement entre islam et islamisme radical pourraient favoriser l’intégrisme et le repli communautaire, selon lui. La grande mobilisation des médias et des chefs politiques vis-à-vis du sujet du voile(1) «nous donne cette impression que toute la France a été envahie par le voile », s’indigne l’avocat, ex-président (décédé) du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP).

L’avocat et le père des filles veulent négocier dans la discrétion. Un enseignant refusant le compromis appelle le journal Libération pour ébruiter le fait. Trois jours après, l’affaire devient politique. Des gens du gouvernement donne libre court à leurs positions. « Quand on n’aime pas la république française, on va ailleurs », lançait le ministre délégué de l’Enseignement scolaire, Xavier Darcos, en parlant de ces deux adolescentes. Il se trouve que les deux filles sont de père français d’origine juive. Encouragé par le discours du ministre, médias et réseaux sociaux s’acharnent sur les deux sœurs, les accusant d’obscurantisme.

Le Canada n’en est pas là. Il s’agit là d’un cas extrême de polémique. Mais le débat attisé sur l’exclusion des deux sœurs Levy de leur lycée est un exemple vivant de ce que la France est devenue aujourd’hui (épanouissement des partis politiques de l’extrême droite qui encouragent la xénophobie et la haine envers les minorités).

Les médias créent la crispation autours du sujet du niqab

Certains médias créent la crispation autours du sujet du niqab, parce qu’ils ont des positions à préserver et à communiquer, ou peut-être juste parce que c’est un sujet accrocheur et vendeur. Cette crispation est en train de générer la stigmatisation du port du niqab comme elle a généré, il y a deux ans, celle du port du voile lors du dépôt de la loi 60 sur la Charte des valeurs québécoises, en 2013(1).

Ces médias nourrissent la peur de l’islam radical. Ils vont loin dans leur jugement et dans leur façon de traiter les faits. Richard Martineau ouvre son émission, Franchement Martineau, vêtu d’une burqa sur LCN, en novembre 2013*. Les sites canadiens Poste de veille et Point de bascule se spécialisent dans les affaires intégristes islamistes. Le premier poste des vidéos des associations musulmanes activant au Québec, le deuxième met en garde contre le danger de l’islam et publie une liste d’associations islamiques. Le journaliste et directeur du site Point de bascule, Marc Lebuis, n’avance aucun chiffre, ne présente aucune étude fondée sur la question de l’islam. Interrogé, sur Radio-Canada, sur son parcours intellectuel qui lui permet de mettre en garde contre l’islam, ce journaliste n’a pas répondu.

La population canadienne craint l’intégrisme islamiste. Et c’est légitime. Mais il faudrait faire des discernements. Ce qui est Islamiste n’est pas islamique. Les musulmans eux aussi, craignent cet intégrisme : ils l’ont vécu pour la plupart dans leurs pays avant d’emprunter le chemin de l’immigration ou celui du refuge politique. Inutile de dresser le tableau du printemps arabe ces dernières années(2). Si on fait un bilan, l’islamisme a tué plus de musulmans que de non musulmans (on site l’Égypte encore en guerre, la Syrie aujourd’hui, l’Algérie dans les années 90(3),…La Tunisie d’aujourd’hui,…etc.)

Il faut savoir que l’intégrisme ne se montre pas sous une tenue vestimentaire comme le hidjab (voile), le niqab ou la burqa. L’intégrisme est vicieux, sournois et ne s’affiche pas. Un kamikaze ne traîne pas en kamis(4), rase sa barbe en général et s’habille en «rap-man» pour passer inaperçu. Durant la décennie, en Algérie, les poseurs de bombes étaient des jeunes-hommes vêtus à la mode. Les mosquées de Montréal ne sont pas les nids d’intégrisme. Les islamistes radicaux vont au-delà des lieux de culte pour séduire les potentiels djihadistes. Ray Boisvert, ancien directeur adjoint au service canadien du renseignement de sécurité, le dit : « Ceux qui veulent communiquer la haine envers d’autres individus (et ils ne sont pas nombreux) sont souvent expulsés des mosquées et ne parlent jamais de ces enjeux qu’à l’extérieur d’une mosquée. »

Frédéric Castel du Centre de recherche en Immigration ethnicité et citoyenneté va dans le même sens et reconnaît qu’il y a une poignée de mosquées intégristes au Canada. Mais celle-ci est généralement surveillée par les services de sécurités mais aussi dénoncée par des citoyens (rappelons-nous l’attentat du train dénoncé par un imam en avril 2013). Débattre sur ces questions liées à l’islamisme est légitime, mais celles-ci ne devraient pas être un outil politique pour arriver à une fin qui n’avait aucun lien avec les valeurs démocratiques du départ.

Si la population canadienne voit les musulmans comme des islamistes et le voile intégral comme une menace d’un intégrisme en plein effervescence au Canada, c’est en grande partie à cause de la propagande. Celle-ci est en train de créer un fossé entre les musulmans et les autres communautés. Elle risque de diviser ces derniers.

Par Souad Belkacem

(1)Loi 60 sur la Charte sur les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l’État, dépôt et annulation en 2013.
(2)-Printemps arabe est une révolte populaire contre le régime en place dans les pays du Maghreb et dans le monde arabe. La révolte a vu sa racine en Tunisie en 2010.
(3)- La décennie noire en Algérie est marquée par le conflit qui oppose le gouvernement disposant de l’armée nationale populaire et divers groupes islamistes entre 1990 et 2000.
(4)-Kamis : vêtement masculin traditionnel long, porté par les musulmans.

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