Par Patrick Mbeko-Lembwa
Expropriations brutales, assassinats, violations des droits humains, destruction de l’environnement, etc., les sociétés minières canadiennes se retrouvent impliquées dans de nombreux « incidents » et conflits dans les pays du sud, dénoncent plusieurs ONG.
Plus de 400 incidents de violence liés à des projets miniers canadiens en Amérique latine entre 2000 et 2015. C’est ce que révèle une récente étude de Justice and Corporate Accountability Project (JCAP), un groupe d’aide juridique affilié à la Faculté de droit Osgoode Hall de l’Université York, à Toronto.
Certains récits recensés dans le document de 132 pages donnent froid dans le dos : assassinat des membres d’une communauté opposée à la compagnie minière Pacific Rim au Salvador, des femmes violées par les forces de sécurité lors de leur déplacement forcé pour faire place à la mine Fenix de Skye Resources, des écologistes menacés pour s’être opposés à l’exploitation d’une mine au Mexique, etc.
Ce n’est pas la première fois que des minières canadiennes sont épinglées dans un rapport à cause de leurs activités controversées. Une étude réalisée pour le compte de la Prospectors and Developpers Association of Canada (PDAC) fait observer que les sociétés minières canadiennes se retrouvent impliquées dans quatre fois plus de violations des principes de la Responsabilité sociétale des entreprises (RSE) que leurs concurrentes du reste de la planète.
Des 171 sociétés citées dans ce rapport, qui analyse 171 «incidents» ou conflits de nature sociale ou environnementale survenus entre 1999 et 2009, 34% sont des compagnies minières canadiennes. Celles-ci se retrouvent au centre du plus grand nombre de conflits dans leurs zones d’exploitation. Dans un rapport de 2010, l’organisme Mining Watch révèle que les sociétés canadiennes sont responsables à elles seules de 33 % des conflits, soit quatre fois plus que ceux attribués à l’Inde et l’Australie (8 %), qui sont suivies par les minières étasuniennes et britanniques (6 %).
Pour Marie-Eve Marleau du Comité pour les droits humains en Amérique latine (CDHAL), ce rapport confirme ce que dénonce son organisation depuis des années et démontre qu’il ne s’agit pas de «quelques pommes pourries», mais d’un phénomène généralisé auquel le gouvernement canadien doit s’attaquer pour mettre fin « aux abus commis aux dépens des droits de la personne et de l’environnement».
Déficit d’imputabilité
Malgré de nombreuses et sérieuses allégations d’abus et de violations des droits de l’homme dans les pays du sud, les sociétés minières canadiennes n’ont pas réagi, ni sur le plan politique, ni dans un cadre judiciaire.
Mais face aux allégations graves qui fusent dans le monde, seul un conseiller en Responsabilité sociétale des entreprises (RSE) remplira un office privatif; il n’entreprendra pas d’examens de sa propre initiative des activités d’une entreprise extractive canadienne, ne formulera pas de recommandations contraignantes ni de recommandations de politique publique ou législative. Mieux, le conseiller ne pourra procéder à l’examen de dossiers qu’avec le consentement de la partie accusée d’abus à l’étranger.
Résultat : la plupart des plaintes n’ont pu conduire à un dialogue avec les compagnies minières concernées, « ces dernières ayant refusé de collaborer au processus de résolution des conflits » soutient Geneviève Paul, chercheuse pour l’ONG Above Ground.
Dans son livre Noir Canada , l’auteur et philosophe Alain Denault rend compte des abus commis par les sociétés minières canadiennes en Afrique. En entretien avec Le Reporter + , il affirme que la notion même de RSE «témoigne d’un ordre politique dans lequel certains acteurs, à savoir les institutions financières ainsi que les multinationales dans le domaine des richesses naturelles et de l’industrie lourde, se sont tellement ostensiblement et officiellement affranchies de tout système de contrôle public qu’on en est à leur demander, sinon à quémander auprès d’elles, qu’elles daignent minimalement se contenir elles-mêmes ».
« Aucune catégorie d’acteurs sociaux, outre celles de l’oligarchie, n’ont formellement droit à autant de permissivité», déplore-t-il.
Des initiatives n’ont pourtant pas manqué
Des projets de loi proposant d’instituer un cadre législatif et réglementaire des activités minières n’ont pourtant pas manqué. C’est notamment le cas du projet de loi C-300 sur « la responsabilisation des sociétés à l’égard de leurs activités minières, pétrolières ou gazières dans les pays en développement ».
Soumis par le député libéral John McKay, en février 2009, à la Chambre des communes, il prévoyait que les firmes canadiennes engagées dans des activités illégales à l’extérieur du pays ne puissent plus être financées par Exportation et développement Canada ni bénéficier d’un appui diplomatique. Il prévoyait aussi que l’on puisse, du Canada, poursuivre au criminel les sociétés canadiennes visées par des allégations soutenues à l’échelle internationale.
Le projet de loi a été défait par les députés du Parti conservateur au pouvoir à l’époque, prétextant défendre le bien public : l’épargne des Canadiens (fonds de retraite et de capitalisation en tout genre) se trouve étalonnée sur les cours de cette industrie, affirmaient-ils.
En entrevue avec Le Reporter +, John McKay affirme que l’échec de ce projet de loi s’explique plutôt par «l’énorme influence de l’industrie minière qu’il ne faudrait surtout pas sous-estimer ».