UNE ANALYSE DE MARC SANDRESCHI
« There is a new sheriff in Town ! », avait annoncé Denis Coderre en 2014 alors qu’il était le maire de la ville de Montréal. Chassé en 2017 après sa défaite face à Valérie Plante, le shérif est de retour. Reprendra-t-il la mairie lors des élections de novembre 2021 ?
Brisé par sa défaite de 2017 et épuisé par la vie politique, Denis Coderre s’était retiré afin de panser ses blessures. Maintenant qu’il a officialisé sa candidature pour le très convoité poste à l’hôtel de ville de la métropole, le mot circule et il fait beaucoup de bruit : Denis Coderre prépare patiemment son grand retour.
En prélude à l’annonce d’un programme politique, l’arrivée en librairie de son livre Retrouvons Montréal dresse un bilan positif de son dernier mandat. L’ancien maire s’y présente comme un homme nouveau qui a la ferme intention de réanimer « sa ville adorée », ville de plus en plus divisée en cette période de pandémie. Revigoré, Coderre mentionne que « cette crise planétaire que nous vivons a réveillé en moi un sens inné du devoir. Je ne peux pas rester les bras croisés et encore moins détourner le regard comme si rien n’était. »
2017 : une cinglante défaite
En 2017, Denis Coderre était convaincu que sa notoriété serait suffisante pour vaincre aisément une adversaire sans passé politique. Il faut se souvenir qu’en 2013, une partie de la population montréalaise avait élu Coderre et chassé l’ancienne administration, avec en toile de fond, la démission de Gérald Tremblay afin de mettre fin aux divers scandales entourant la corruption politique.
Coderre était arrivé en monarque alors que Montréal était la proie de fortes turbulences et de vents de cisailles : entre autres, la crise entourant l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction, crise qui allait se conclure avec le rapport de la commission Charbonneau en 2015.
Favori à une réélection en 2017, Denis Coderre avait mené une campagne sans éclats après quatre années chaotiques. On n’a qu’à se souvenir d’une ville étouffée par des chantiers de construction, ce qui d’ailleurs, n’a toujours pas changé. Les fameux cônes orange étaient partout. Ils le sont encore.
La polémique entourant l’injection de deniers publics pour financer le retour du baseball majeur à Montréal avait fait crier une partie de la population. Les mystères entourant la tenue d’une course du championnat de formule E. [course de voitures électriques à Montréal] avaient eux aussi suscité la grogne. Une course en plein centre-ville qui allait entraîner de nouvelles fermetures de rues ne pouvait que diviser l’électorat, déjà que Montréal accueillait son lot d’activités.
Cette accumulation de faux pas avait causé sa perte et Denis Coderre avait ainsi vu celle qui allait devenir la première mairesse élue de Montréal lui « passer sur le corps ». Elle qui n’avait pourtant pas l’expérience de Coderre, lui servait une percutante gifle : 34 des 65 conseillers de l’équipe de Valérie Plante avaient été élus, ce qui accordait à son équipe la majorité au conseil municipal. Face à sa défaite, l’ancien maire de la ville n’avait que lui à blâmer. Et le mea culpa, il l’a fait.
Des changements chez l’homme
Le maire déchu a-t-il vraiment changé de personnalité ? Denis Coderre a toujours aimé les caméras. L’homme politique aimait le pouvoir. À divers moments, il pouvait se montrer un peu autoritaire et son tempérament lui jouait des tours. Certains, pour ne pas dire plusieurs, le trouvaient arrogant.
Son livre ne semble pas dépeindre un homme nécessairement différent, quoique Coderre démontre de l’humilité. Cependant, on ne peut nier qu’à certains égards, l’homme a changé : sa physionomie a subi une métamorphose; il a perdu plus de 100 lb; il a fait de la boxe son nouvel exercice physique. Souriant et resplendissant de santé, il apporte le même vent de fraîcheur qu’avait apporté Valérie Plante en 2017.
Selon Thierry Giasson, chercheur principal au Groupe de recherche en communication politique de l’Université de Laval, « il est certainement possible de redéfinir sa marque politique. […] Mais il faut le faire de façon réaliste et lucide. Il ne faut surtout pas penser que les gens vont oublier ce qu’on est parce qu’on a changé d’apparence ou qu’on a une nouvelle idée. On ne peut pas faire fi de ce qu’on a été » (Le Devoir, 24 mars, 2021).
Poudre aux yeux ou nouvelle vision politique ?
Aujourd’hui, nous nageons dans l’incertitude. Sur le plan politique, la version 2021 de Denis Coderre se fait attendre. Aucune annonce officielle n’a été faite. Aucun programme n’a été présenté, quoiqu’il ait manifesté son intention de relancer l’économie de la métropole.
Son livre laisse entrevoir sa nouvelle vision du transport en commun. Denis Coderre met en lumière l’importance de développer le réseau de transport de Montréal. Pour y arriver, il lance la réflexion sur la possibilité de « nationaliser des rails et d’intégrer les entrées et les sorties du métro dans des bâtiments existants plutôt que de bâtir des édicules indépendants. »
Il propose aussi de créer un « axe diagonal » qui relierait la station Berri-UQAM au Cégep Marie-Victorin. Valérie Plante n’a pas manqué de commenter ce volte-face, tel que le cite La Presse du 22 mars dernier : « J’étais vraiment épatée de voir que finalement Denis Coderre considère que ma ligne rose est une bonne idée, parce que lors de la dernière campagne, il riait ouvertement. » La mairesse n’a, pour sa part, pas encore tenu sa promesse concernant cette ligne rose et, à ce jour, rien ne permet de croire qu’elle le pourra d’ici la fin de son mandat.
Depuis que les rumeurs de son retour ont flotté sur la métropole, Coderre ne s’est toujours pas inscrit totalement en faux face à sa vision passée. En faisant référence à une rencontre qu’il a notamment eue en 2015 avec Anne Hidalgo — mairesse de Paris —, le livre cite cette dernière en parlant de la même vision qu’elle et Coderre partagent :
« Ne laisser personne de côté ; faire vivre en harmonie des citoyennes et des citoyens aux origines et aux aspirations variées ; permettre à chacune et chacun de trouver sa place, jeunes et moins jeunes, célibataires et familles, installés de longue date ou seulement de passage… Nous partageons aussi la même manière de faire en travaillant main dans la main avec les associations, acteurs essentiels pour une meilleure intégration. […] Denis Coderre s’est engagé pour faire vivre toutes ensemble différentes communautés, au point d’en faire l’ancrage de sa politique municipale. »
Le bilan positif de la mairesse
Radio-Canada a passé en revue les trois premières années du règne de Valérie Plante. Même si son mandat n’est pas encore terminé, le bilan fait réfléchir.
Dans un article conjoint par Romain Schué et Thomas Gerbet de Radio-Canada du 25 octobre 2020, nous apprenons ceci : 32 des 64 promesses électorales énoncées en 2017 par Valérie Plante ont été tenues ; 15 des 32 autres promesses ont soit été en partie tenues ou sont en voie d’être tenues ; six sont incertaines tandis que 11 n’ont pas été tenues.
La candidate Plante avait promis d’acheter 300 autobus hybrides : promesse tenue, au même titre que plusieurs autres en matière de transport. Elle s’était engagée à créer une escouade de mobilité pour améliorer la circulation automobile et limiter les congestions : promesse tenue, tout comme certaines autres en matière de gestion de chantiers.
Quant aux services aux citoyens : la promesse de rénover les chalets de parcs et d’augmenter leurs heures d’ouverture a été tenue ; la promesse de multiplication des brigades de propreté dans divers arrondissements a aussi été tenue, sans oublier celle concernant les aménagements pour la circulation à vélo.
Finalement, elle a mis en place certaines réformes fiscales pour les commerçants de l’île de Montréal ainsi qu’exigé auprès du SPVM de tenir deux bilans par année sur le profilage racial dans la police, tel qu’elle s’était engagée à le faire.
Le bilan n’est pas que positif
L’entrée en fonction de Valérie Plante en 2017 s’est cependant vite transformée en douche froide. La candidate élue s’était engagée à ne pas augmenter les impôts fonciers au-delà du niveau d’inflation. Il n’aura fallu que l’arrivée du premier budget de la nouvelle administration Plante pour qu’elle brise cette promesse. Elle s’était par la suite amendée en corrigeant le tir pour les années subséquentes.
Face au problème d’itinérance à Montréal, elle avait promis de construire 300 unités d’hébergement ou de transition par année. Seules 570 des 900 unités prévues pour les trois premières années ont été construites.
Plusieurs autres promesses préélectorales n’ont pas été tenues, notamment celle de créer une commission sur la reddition de comptes pour la gestion de grands projets. Le niveau de confiance envers les politiciens aurait certes pu retrouver ses lettres de noblesse avec la mise en place d’une telle mesure.
Les sondages : annonciateurs d’un gagnant ?
Entre les 20 et 23 mars 2021, 2313 personnes ont répondu à une série de questions pour le compte du sondeur en ligne Qc125.com [initiative de Philippe J. Fournier qui est notamment collaborateur politique aux magazines L’actualité, Maclean’s et analyste politique pour CTV Montreal et Radio-Canada].
Si des élections avaient eu lieu le jour du sondage, 40 % des répondants auraient voté pour Denis Coderre et 24 % pour Valérie Plante, mais avec un taux d’indécis de 25 %. Sans faire de choix définitif, 50 % des indécis étaient enclins à accorder leur vote à Coderre, contrairement à 33 % des indécis pour Plante.
Est-ce dans la poche pour le shérif ? Quelques jours avant l’élection de 2017, un sondage mené par la firme CROP-Radio-Canada permettait d’apprendre que parmi les répondants qui indiquaient être certains d’aller voter, 45 % appuyaient Coderre, contrairement à 42 % pour Plante. Nul besoin de rappeler que Valérie Plante avait remonté la pente pour être couronnée grande gagnante.
Réflexion faite, il serait certes plus prudent pour le camp Coderre de ne pas commander trop vite le champagne auprès de la Société d’État.
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Pour en savoir plus :
Jeanne Corriveau, « Denis Coderre retente sa chance à la mairie de Montréal » Le Devoir, 29 mars 2021.https://www.ledevoir.com/politique/montreal/597802/denis-coderre-annonce-sa-candidature-a-la-mairie-de-montreal.
Patrick Masbourian, 25 mars 2021, « Duo du jour : Mise en scène du retour de Denis Coderre », Tout un matin, Radio-Canada. https://ici.radio-canada.ca/premiere/emissions/tout-un-matin/segments/chronique/348691/mairie-livre-retrouver-montreal-coderre.
Philippe J. Fournier, « Mairie de Montréal : Denis Coderre devance Valérie Plante », L’actualité, 25 mars 2021 : https://lactualite.com/politique/mairie-de-montreal-denis-coderre-devance-valerie-plante/.
Guillaume Bourgault-Côté, « Derrière l’image du « nouveau » Coderre » Le Devoir, 24 mars 2021. https://www.ledevoir.com/politique/montreal/597483/politique-municipale-derriere-l-image-du-nouveau-coderre.
Philippe Teisceira-Lessard, « Monsieur Coderre voit la lumière, dit Valérie Plante » La presse, 22 mars 2021. https://www.lapresse.ca/actualites/grand-montreal/2021-03-22/vision-du-transport-en-commun-de-l-ex-maire/monsieur-coderre-voit-la-lumiere-dit-valerie-plante.php.
Denis Coderre, Retrouver Montréal. Qualité de vie. Qualité de ville, Montréal : les éditions LA PRESSE, 2021.
Jérôme Labbé, « Les Montréalais se réveillent avec une hausse de taxes au-delà de leurs espérances » Radio-Canada, 10 janvier 2018 et mis à jour le 11 janvier 2018. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1077206/budget-2018-montreal-hausse-taxes-inflation-premier-budget-valerie-plante-projet.
Romain Schué et Thomas Gerbet, « Valérie Plante a-telle tenu ses promesses ? » Radio-Canada, 25 octobre 2020. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1743714/promesses-valerie-plante-projet-montreal-elections.
« Élections municipales 2017 », La Presse, 9 novembre 2017.
« Mairie de Montréal : rien n’est acquis pour Denis Coderre », Radio-Canada, 30 octobre 2017.
France Charbonneau, Renaud Lachance, Rapport final de la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction, Bibliothèque et Archives nationales du Québec. Bibliothèque nationale du Canada, dépôt légal – 4e trimestre de 2015.
Jean-Luc Lavallée, « “There is a new Sheriff in Town”, dit Coderre » TVA Nouvelles, le 26 mars 2014. https://www.tvanouvelles.ca/2014/03/26/there-is-a-new-sheriff-in-town–dit-coderre.
David Santerre, « Denis Coderre prend le blâme et quitte la politique municipale » La presse, 5 novembre 2013. https://www.lapresse.ca/actualites/grand-montreal/201711/05/01-5142485-denis-coderre-prend-le-blame-et-quitte-la-politique-municipale.php.
Yves Boisvert, « Pourquoi il a perdu » La Presse, 2 novembre 2013. https://plus.lapresse.ca/screens/1321c985-22e4-46f2-bd8d-341327999b7e__7C___0.html.