Par Maéna Gave Bonnet
« Il faut arrêter de se rendre esclaves de ces plateformes-là pour nos communications! » Depuis le 1er aout, Étienne Dubuc, directeur-général de CISM – la radio étudiante de l’Université de Montréal – ne décolère pas. Ce jour-là, Meta a décidé de bloquer tous les sites canadiens de nouvelles de ses réseaux sociaux : Facebook, Instagram et autres. La multinationale veut ainsi protester contre le projet de loi C-18 qui tente de forcer les géants du Web à verser des redevances aux médias dont les contenus sont partagés sur leurs plateformes. Mais la crise ne touche pas que les grandes entreprises de presse, comme en témoignent les récentes mises à pied chez TVA Nouvelles et la fermeture de Métro Média. Des médias communautaires sans but lucratif, comme CISM, subissent les conséquences de ce bras de fer entre le fédéral et Meta. Comme les autres, la radio étudiante a disparu des réseaux sociaux, même si elle ne diffuse pas de nouvelles. Étienne explique comment il tente de survivre face à cette situation.
Quand vous avez pris connaissance de la mise en place du blocage, est-ce que vous vous en doutiez? Comment avez-vous réagi?
On savait que ça pouvait s’en venir, on essayait de rester positifs. Comme on est un média étudiant, on ne partage pas de nouvelles ou d’actualité forte et lourde comme les grands médias. On utilise simplement les réseaux sociaux pour faire la promotion de nos émissions, du genre « hé, venez voir telle émission », « on accueille tel groupe cette semaine ». On avait espoir que ça ne nous touche pas. Mais bon… on s’est réveillés le 1er aout avec l’accès à nos pages bloqué. On ne pouvait pas y échapper.
Comment expliquez-vous qu’un petit média communautaire comme CISM fasse l’objet de ce blocage?
Ce qui est énervant, c’est que c’est appliqué de manière aléatoire. Comment expliquer que notre média soit touché, alors que nous utilisons nos réseaux sociaux seulement pour obtenir davantage de visibilité pour nos émissions? D’autres médias étudiants, comme l’UQAM, n’ont pas été visés par cette mesure. Parce qu’elle n’est pas en FM, qu’elle fait juste du podcast… c’est chill ! C’est le même type de média, de contenu, et nous on se retrouve touchés à cause des décisions d’un algorithme.
C’est aussi le cas pour RDS et Radio-Canada culture. Parce que c’est du sport, ils [RDS] sont épargnés !
Avez-vous fait des démarches auprès de Meta pour tenter de débloquer les accès à vos comptes?
Oui, nous avons porté appel de la décision de Meta plusieurs fois. Sans réponse pendant 3 mois, nous avons finalement reçu un avis de révision il y a 2 deux semaines. Nous attendons leur décision en ce moment.
Comment ce blocage affecte-t-il le fonctionnement de votre radio?
Ça nous touche en termes de visibilité. En tant qu’ONG [organisation non gouvernementale], on n’a pas un budget incroyable pour faire de la promotion. Ayant abandonné les médias papier, les réseaux sociaux, c’est vraiment LE moyen de rejoindre notre public. Et là, du jour au lendemain, on n’a plus accès à notre principale façon de communiquer. Donc, on est bloqués face à la réussite de nos objectifs.
Si on n’arrive plus à atteindre notre auditoire, de moins en moins de personnes écouteront nos émissions. Comme nos animateurs travaillent bénévolement, est-ce qu’ils voudront continuer de travailler avec nous? On se questionne beaucoup face à l’avenir de la radio.
À la suite de la mise en place de cette mesure, avez-vous remarqué des variations concernant vos cotes d’écoute?
Moins que ce que je pensais, mais oui, ça paraît. On a observé une baisse mensuelle de nos cotes d’écoute de 3000 auditeurs sur le FM et de 5000 dans les balados. C’est plus bas que ça l’était avant le blocage et aussi plus bas que si on compare d’année en année.
Comment le blocage affecte-t-il vos moyens de financement?
On a plusieurs méthodes de financement. On reçoit chaque session les cotisations des étudiants de l’université, qui représentent 65 % de notre budget. Des fonds provenant de nos partenaires [Fédération des radios associatives françaises et Fonds canadien de la radio communautaire], qui eux représentent 10 % du budget. Mais on tire aussi des revenus de vente de publicités en ondes, comme les radios commerciales [25 %].
Là où on est touchés, c’est au niveau du respect des contrats avec nos clients pour la publicité en ondes. Dans la majorité de nos contrats, on doit, en plus d’un temps en ondes, réaliser de la promotion pour leurs entreprises sur nos réseaux. Mais comme on est bloqués, certains d’entre eux ne sont pas très contents car on ne peut pas respecter ce qui était prévu à la base. Même si on essaie de les arranger au mieux, on a déjà perdu un client, ce qui est énorme à notre échelle.
Quelles stratégies avez-vous mises en place afin de pallier ce blocage?
On a lancé notre projet d’infolettre où les gens peuvent s’inscrire via notre site Web. Ça reste difficile, car tu peux partager un lien vers l’infolettre mais tu ne peux pas partager un lien vers le site Web!
Pour l’instant on a observé un taux d’ouverture de l’infolettre de 75 %, ce qui nous a permis une augmentation des écoutes qui varie entre une dizaine et une centaine [d’auditeurs] dans les projets qui sont mis de l’avant dans le courriel.
Considérez-vous que cette décision est une atteinte à la liberté d’expression?
C’est un terme fort, mais oui, on nous empêche clairement de nous exprimer. Ça va un peu à l’encontre de la définition première d’un réseau social, qui est d’échanger avec les gens, de discuter, de partager des idées. C’est une méthode déloyale d’abus de pouvoir.
Selon vous, quelles seraient les solutions à mettre en place dans le futur afin d’éviter un nouveau blocage? Qu’attendez-vous du gouvernement?
Rendu là, ce qui serait important, c’est que le gouvernement ne change pas d’idée et reste sur sa position, car ce n’est pas vrai que des corporations multimilliardaires devraient pouvoir imposer leur bon vouloir à un gouvernement. Tu fais affaire avec notre pays, donc voici les lois de notre pays, tu dois les respecter.