Cette réalité est pratiquement inconnue au Québec, mais n’en est pas moins avérée : les femmes souffrent plus que les hommes des répercussions des changements climatiques. Principalement parce qu’elles sont plus pauvres.
On a tendance à penser qu’hommes et femmes subissent de la même manière les effets des sécheresses, inondations, canicules ou tempêtes de verglas. Même les groupes de femmes et d’écologistes le croient. Et pourtant non.
C’est ce que démontre l’étude L’intégration du genre dans la lutte aux changements climatiques, réalisée en 2013 par des chercheurs de l’UQÀM. La raison principale de ces disparités : comme les femmes ont plus de probabilités de se retrouver en situation de pauvreté, elles risquent de vivre plus difficilement les changements climatiques. Leur capacité à se nourrir et à veiller à leur santé ainsi qu’à celle de leur famille représente un enjeu plus important pendant les événements climatiques extrêmes.
Si ce sont les femmes pauvres des pays du Sud qui sont les plus vulnérables, celles d’ici se trouvent également en situation plus précaire. Selon les plus récentes données de Statistique Canada (2003), près de 1,5 million de Canadiennes d’âge adulte vivent dans la pauvreté. La situation s’aggrave pour les femmes autochtones avec un taux de 36 % de pauvreté, contre 17 % chez les femmes non autochtones. Les femmes âgées (41 %) et les femmes monoparentales (51 %) font également partie des plus pauvres.
L’étude révèle en outre que les rôles attribués aux hommes et aux femmes par la société influencent leurs comportements et leurs actions liés aux changements climatiques. Ce sont tous ces liens entre genre et changements climatiques qu’Annie Rochette, professeure en sciences juridiques à l’UQÀM et chercheuse ayant participé à l’étude, vise à mettre en lumière dans son atelier « L’intégration de la dimension de genre dans la lutte et l’adaptation aux changements climatiques », auquel nous avons assisté l’automne dernier à l’UQÀM.
Plus de responsabilités, moins de sécurité
Les rôles attribués aux hommes et aux femmes révèlent l’importance de considérer le genre pour l’enjeu des changements climatiques. « Dans le concret, la justice environnementale est plus une affaire de femmes, car il y a un lien social », note la chercheuse en entrevue. Encore aujourd’hui, au Québec comme ailleurs, la responsabilité des tâches ménagères incombe en grande partie aux femmes, tout comme les soins aux enfants. Aidantes naturelles, elles veillent au bien-être des aînés et des personnes malades. Avec l’augmentation des catastrophes naturelles, la charge des femmes s’alourdit forcément.
Prenons l’exemple des canicules : les personnes les plus touchées par ces épisodes de chaleur intense sont les enfants en bas âge, les personnes âgées et les personnes à faible revenu, souvent sous la charge des femmes. Notons par ailleurs que pendant les épisodes de canicule, le taux de mortalité des femmes dépasse celui des hommes, entre autres car leur métabolisme tolère moins la chaleur extrême. Seule une analyse différenciée selon les sexes permettrait de connaître les autres causes de ce taux de mortalité supérieur.
Dans les pays du Sud, un événement de sécheresse ou de désertification affecte directement les conditions de vie des femmes, responsables de l’agriculture, de la sécurité alimentaire et de la santé familiale. Elles doivent marcher de plus en plus loin pour aller chercher l’eau dont leur famille a besoin. En cas de pénurie alimentaire, elles se retrouvent en situation de vulnérabilité, car elles n’ont pas accès aux ressources productives (terres, bétail, machines agricoles, etc.) et ont un accès limité au capital.
Les changements climatiques affectent aussi la sécurité des femmes. Une étude canadienne sur les impacts des inondations au Saguenay, en 1996, a constaté que les séquelles physiques et psychologiques étaient plus marquées chez les femmes que chez les hommes. Lors de catastrophes naturelles, la violence faite aux femmes augmente, nourrissant leur insécurité. Les villes et villages dévastés obligent les hommes à migrer pour chercher du travail ailleurs, laissant derrière eux femmes et enfants. En leur absence, les femmes subissent plus de viols, comme l’a rapporté l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture. Un chef de police de la Ville de Montréal relate aussi dans l’étude que 25 % des appels reçus lors de la tempête de verglas de 1998 provenaient de femmes qui subissaient de la violence. À la suite de l’éruption volcanique du mont St. Helens, dans l’État de Washington, en 1980, les rapports de police dénotaient une augmentation de 46 % de la violence conjugale.
Approche trop avant-gardiste?
Au Québec, la vulnérabilité des femmes aux changements climatiques demeure méconnue. Le gouvernement ignore la dimension de genre dans son Plan d’action 2013-2020 sur les changements climatiques. La Stratégie gouvernementale d’adaptation aux changements climatiques 2013-2020 reste tout aussi muette à ce propos. Pourtant, à l’échelle internationale, le sujet est documenté depuis 10 ans. La Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques intègre la dimension de genre dans un guide à l’intention des décideurs. Une approche qui ne satisfait pas complètement Annie Rochette. « On traite du genre dans quelques clauses et on brasse la sauce. Il manque un questionnement sur tout ce qu’il y a derrière les changements climatiques. L’analyse féministe permet cela », dit-elle. Ce questionnement renvoie au changement de paradigme de notre système économique et à la modification de nos habitudes de (sur)consommation.
Même chez les décideurs municipaux et les membres de groupes de femmes et de groupes écologistes rencontrés pendant la réalisation de l’étude, la conclusion demeure la même : aucun lien à faire entre le genre et les changements climatiques. La composition des grands organismes environnementaux illustre bien l’approche non genrée des groupes écologistes. Équiterre, Greenpeace Québec et la Fondation David Suzuki Québec n’ont que des hommes comme porte-parole et à leurs postes de direction.
Pendant ce temps, les femmes vont au front, s’investissent et manifestent dans des actions directes. Par exemple, quatre jeunes femmes se sont enchaînées à des clôtures devant la raffinerie Suncor, à Montréal, à l’automne 2014, pour signaler leur opposition au projet d’inversion de la ligne 9B d’Enbridge, qui transporterait du pétrole albertain par pipeline vers l’est du pays. En réaction au projet de loi C-45, qui affecterait notamment les droits territoriaux et l’environnement des autochtones, le mouvement de contestation Idle No More a pris naissance en 2012 grâce à quatre femmes, avec comme leaders nationaux une grande majorité de femmes. En avril dernier, pendant la marche Action Climat à Québec, coordonnée par Marie-Ève Leclerc, un mur de femmes manifestaient contre les oléoducs au Québec.
La lutte passe par les femmes
La lutte aux changements climatiques nous concerne tous. Mais « le mouvement des femmes représente un allié stratégique important pour le mouvement écologiste », affirme Annie Rochette. Bien structuré et considéré au Québec, il travaille activement dans les tables de concertation. Il se mobilise avec succès concernant différents enjeux, comme l’austérité.
Mais, déjà très occupé par la violence faite aux femmes, il a besoin de renforts pour s’attaquer plus efficacement aux changements climatiques. Reste donc au mouvement écologiste à s’y allier. Car les femmes ont beau être vulnérables aux impacts des changements climatiques, elles sont également des agentes de changement fortes d’une vision d’ensemble et d’une capacité de trouver des solutions pour la communauté. De bonnes raisons de les considérer et de les consulter dans la recherche de solutions…