Par Karla Meza
Selon une étude de la compagnie de services financiers UBS, 61 % des femmes de la génération des milléniaux délèguent la planification financière à leur conjoint. C’est encore plus que les femmes boomers !, a lancé Sophie Paquet, vice-présidente à la Financière Banque Nationale.
« À toutes les semaines je rencontre beaucoup de femmes professionnelles qui avouent ne pas être intéressées par leurs finances », déplore-t-elle. Les femmes n’ont jamais été aussi éduquées. Toutefois, elles continuent à déléguer leurs grandes décisions financières.
« Les femmes ne se préoccupent pas suffisamment de la gestion de leur argent, a affirmé Nicole St-Hilaire, vice-présidente du Cercle finance du Québec. Mais comment les encourager à prendre en main leurs finances ? »
Lors du 3e Colloque Femmes en finance, près de 25 conférenciers et panélistes se sont réunis le 13 septembre dernier à Québec devant plus de 400 personnes, fort majoritairement des femmes, pour échanger sur le sujet.
L’épargne au féminin
De manière générale, l’épargne représente un enjeu plus important pour les femmes que pour les hommes. Quelques raisons expliquent ce phénomène.
« En 2018 les femmes gagnent encore 18 % de moins que les hommes, a souligné Mme Paquet. Cela leur rend la tâche d’épargner pour la retraite plus difficile. »
Dans leur livre Women don’t ask, Linda Babcock et Sara Laschever affirment que seulement 12 % des femmes négocient leur premier emploi, comparativement à 52 % des hommes. « Cela peut représenter un manque à gagner d’un demi-million au cours d’une carrière », a-t-elle indiqué.
D’autre part, les femmes accèdent moins souvent que les hommes à des postes de haute direction. « Bien que les femmes représentent 45 % de l’effectif des sociétés du TSX et du S&P500, elles ne sont que 5 % à être des cheffes de direction, a affirmé Alain Desbiens, directeur FNB BMO Québec.
Carole Gherlenda, banquière privée chez RBC Gestion de Patrimoine dit ne pas avoir le même discours lorsqu’elle parle de finances et de planification financière avec une femme qu’avec un homme.
« Premièrement les femmes vont travailler moins d’années dans leur vie que les hommes, a-t-elle signalé. Elles auront alors moins de temps pour accumuler de l’argent. Elles doivent arrêter de travailler pendant quelque temps pour avoir des enfants, et elles peuvent sacrifier plus facilement une partie de leur carrière pour prendre soin d’un aîné ou d’un proche malade.
Par-dessus ça, l’espérance de vie des femmes est située à 84 ans, versus 80 ans pour les hommes. En 2005, parmi 8 230 centenaires au Canada, 84 % étaient des femmes. Alors ça va nous en prendre de l’argent ! »
Renforcer la littératie financière
« La gestion de l’argent dans le couple est un sujet encore plus tabou que la sexualité », a lancé Hélène Belleau, coauteure du livre L’amour et l’argent : guide de survie en 60 questions.
Dans les magazines pour femmes on retrouve souvent des articles sur la sexualité ou la vie de couple, mais on en parle presque pas de la manière dont les conjoints s’organisent entre eux pour gérer l’argent. « Le partage de l’argent est un sujet qui peut être très inconfortable, puisque normalement ça va à l’encontre du rapport amoureux. Toutefois, les conseillers financiers auraient intérêt à en parler à leurs clients », a-t-elle expliqué.
Beaucoup de femmes se retrouvent dans une situation financière précaire à la suite d’une séparation, d’une maladie ou d’une perte d’emploi, a déploré Katia de Pokomandy-Morin, directrice générale du YWCA Québec. « Il est important que les femmes s’occupent davantage de leurs finances pour éviter de se retrouver dans une position vulnérable. »
On entend beaucoup les femmes au Québec manifester leur désir d’être indépendantes financièrement, cependant, elles connaissent peu les lois, a exprimé Jessica Lacerte-Racine du Groupe Investors.
« Il y a un gros manque d’éducation. La finance ce n’est pas quelque chose qu’on a appris à l’école. Il faut que les femmes arrêtent d’avoir peur de demander comment fonctionnent les finances, le partage du patrimoine, les investissements, la bourse, etc. »
Quand on leur demande, 78 % des femmes se considèrent comme des épargnantes et seulement 22 % se considèrent comme des investisseurs, a souligné Mme Gherlenda. Il faut donc leur donner le plus d’outils possible pour qu’elles puissent prendre en main la gestion de leurs finances et accumuler de la richesse. »
Simplifier l’épargne
Pour les milléniaux, plus particulièrement, commencer à épargner et à investir représente un grand défi. « Notre recherche révèle que 53 % d’entre eux n’ont même pas 1 000 $ dans leur compte de banque », a avancé Jennifer McDonald, chef de l’exploitation chez Mylo Financial Technologies.
Mylo a développé une application mobile pour aider les Canadiens à épargner et à investir de façon simple, en leur permettant d’arrondir le montant de leurs achats faits par le biais de leur carte de débit. « Notre objectif est de faciliter l’épargne, et de donner la confiance nécessaire aux Canadiens qui n’ont pas beaucoup de connaissances en investissement pour débuter leur vie financière. »
L’argent accumulé est automatiquement investi dans l’un des cinq portefeuilles diversifiés, composés surtout de fonds négociés en bourse (ETFs) et d’obligations. Les portefeuilles sont assignés aux épargnants selon leur profil d’investisseur, qu’ils déterminent au préalable en répondant à quelques questions sur leurs objectifs financiers et leur tolérance au risque.
« Puisque les gens trouvent difficile de mettre de l’argent de côté, nous croyons que l’épargne automatique est une façon efficace de les aider à accumuler des sommes qu’autrement ils n’auraient pas accumulées », a poursuivi Mme McDonald.
Initiation hâtive aux finances
« On parle en finances comme on parle dans le domaine sportif, a lancé Camille Beaudoin, directeur de l’éducation financière à l’Autorité des Marchés financiers. On veut être en compétition, on veut battre le marché, on veut faire du profit… Il faut reconnaître que ce n’est pas très féminin comme langage. »
M Beaudoin est convaincu que ce modèle peut être optimisé notamment en encourageant une présence féminine accrue dans le domaine. « Il y a beaucoup de travail à faire pour inciter les femmes à s’intéresser aux finances, mais l’éducation financière est l’un des moyens pour y arriver. »
Sous cette optique, plusieurs initiatives ont été développées. La Stratégie québécoise en éducation financière, par exemple, dont l’un des objectifs est de contribuer à un changement culturel à l’égard de l’argent.
« L’Autorité des marchés financiers est partenaire de la simulation boursière Bourstad, très populaire au sein des écoles secondaires, a exposé M Beaudoin. Puisqu’au début il y avait beaucoup moins de filles que de garçons qui participaient au programme, on a créé des prix spéciaux pour les encourager à participer. Après trois ans, la proportion filles-garçons est sensiblement la même. »
Cela démontre que les filles s’intéressent davantage aux finances lorsqu’elles voient un avantage à le faire. Dans le monde des adultes, cela pourrait se traduire par une offre salariale équitable et des opportunités d’avancement égales à celles offertes aux hommes.
L’AMF est également au cœur du développement du Programme d’éducation financière offert actuellement à tous les élèves de secondaire V au Québec. Ce programme prépare les élèves à gérer leurs finances personnelles et à faire des choix éclairés, en favorisant l’adoption de comportements responsables et le développement de leur discernement.
« Plus de 60 000 jeunes vont être initiés aux questions d’argent, de budget, d’épargne, de crédit et d’investissement, a précisé M Beaudoin. Il faut adresser ça tôt chez les jeunes et leur donner des outils pour développer leur confiance et encourager leur état d’esprit face aux finances. »