Par Annie Morin

Au début des années 2000, en France, émerge le mot « peopolisation », tiré de l’expression people. Issu du pays où les anglicismes ne font pas peur, regard sur un néologisme qui s’implante de plus en plus dans le milieu politique.

Barack et Michelle Obama 5 mars 2016
Barack et Michelle Obama
5 mars 2016

L’équipe de rédacteurs du Reporter + discute de la thématique « peopolisation ». Les « p » se plient, se plissent, se perdent. La réviseure, toute novice, ne sait pas de quoi on parle. Et on placote, et on papote, et on parle politique… Est-ce que cette expression descend vraiment du mot people ? Comment ce mot peut-il bien s’écrire ? Voici un petit survol sur l’étymologie, les particularités et le sens du mot « peopolisation ».

En premier lieu, il faut faire un saut en France, dans les années 90, où l’anglicisme people se révèle, le vent dans les voiles. Les Français emploient ce mot pour désigner les célébrités et puis la presse à sensation dont ils font la une – l’équivalent de nos icônes québécoises qui s’illustrent dans des tabloïds comme Échos Vedettes, Le Lundi, etc. Le people à la française signifie donc célébrité et non « gens » ou « personne » comme on le traduirait normalement. De ce fait, il est difficile d’affirmer que « peopolisation » tire son nom du latin populus puisque le mot d’où il vient, people, ne possède plus son sens original. Bien que la racine de people semble avoir été rongée, le mot, quant à lui, s’est bel et bien tigé. Rapidement, on voit naître des variantes pimpantes comme « pipole » et « pipeule » à partir desquelles une variété de mots prennent forme.

Les suffixes font la greffe

Dès le début du XXIe siècle, people est bien ancré en Europe et ses suffixes arrivent en grande pompe. Le mot « peopolisation » prend le vent en poupe. Dans le Petit Robert 2015, on le trouve, bien intégré, à la graphie « pipolisation » qu’on définit ainsi : « Médiatisation de personnalités publiques ». En 2003, les suffixes se greffent et s’en suivent les dérivés pipolisme, pipolitude, pipolitique… D’ailleurs, pour faire allusion à ce dernier, Jamil Dakhlia, expert en sociologie de la presse populaire, écrit ceci : « À partir de 2005, le mot “peopolisation” indique de surcroît le resserrement des liens entre politiques et vedettes. […] Nicolas Sarkozy s’affiche avec les chanteurs Johnny Hallyday et Doc Gynéco […] » (Dakhlia, 2010, p. 21). Avec le temps, ce mot reflète davantage une connotation politique qu’artistique.

Du péjoratif au positif

En 2005, la pipolisation semble revêtir une connotation péjorative. Certains pensent que le pipolisme est le moyen par excellence pour détourner les vrais enjeux politiques. Il va sans dire que si l’on pense à Donald Trump, plus d’un ne se trompe pas. C’est du népotisme pipolitique à son extrême ! Cependant, la « pipolisation » ne présente pas que du négatif. « Livrées sous un angle affectif […], non seulement les informations sont plus attrayantes, mais permettent par ricochet de mieux tirer profit de nouvelles plus factuelles et plus abstraites » (Dakhlia, 2011, p. 7). C’est en tous points le phénomène qui se crée avec Infoman : par la pipolisation, Jean-René Dufort arrive à mieux faire percevoir l’information politique à des gens qui, autrement, n’y prêteraient plus attention.

La lumière étant faite sur le terme « pipolisation », on peut se demander pourquoi le mot « vedettisation » (l’équivalence recommandée par l’Office québécoise de la langue française), né en 1969, est resté à l’ombre du Québec tout ce temps. C’est pourtant une expression claire, précise et représentative. Peut-être que le plaisir des « p » qui éclatent en bouche y est pour quelque chose ? « Pipolisation » s’harmonise très bien au vocabulaire ampoulé du milieu politique : populisme, pouvoir, despote, monopole, népotisme, polémique, pépin, potin… Toute une collection à ranger dans sa pipe !

Bibliographie

DAKHLIA, Jamil. Mythologie de la peopolisation. Éditions Le Cavalier Bleu, France, 2010, 95 p. (Myth’O).

DAKHLIA Jamil. « La visibilité people, ennemie de la démocratie? »,  Les tyrannies de la visibilité, Toulouse, ERES, « Sociologie clinique », 2011, 360 p.

Le Petit Robert de la langue française 2015. Nouvelle édition du Petit Robert de Paul Robert. Texte remanié et amplifié sous la direction de Josette Rey-Debove et Alain Rey, Paris, 2014, 2837 p. (Dictionnaires Le Robert).

1er CONGRÈS INTERNATIONAL DE NÉOLOGIE DES LANGUES ROMANES, Détection et classification de néologismes : une expérience didactique, Barcelone, mai 2008, 13 p.

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