Une analyse de Marc Sandreschi
Selon des données partagées par Pékin, la COVID-19 n’aurait fait que 4845 victimes en Chine. En tant que consommateur du made in China, l’Occident aurait-il eu avantage à importer le modèle afin de freiner la propagation du virus ? Est-ce que cette apparence de succès signée Xi Jinping permettra au Parti communiste chinois d’asseoir encore très longtemps sa domination sur la plus grande marée humaine au monde ?
Pendant que les variants essaient par tous les moyens de modifier leur code génétique, la vaccination auprès des populations s’accélère et elle est en voie d’étouffer les derniers soubresauts de ce virus particulièrement vicieux.
Face à la lumière qui se pointe au bout du tunnel, l’heure des bilans approche. Et, au royaume des bilans, on a tendance à regarder dans la cour du voisin.
La Chine voit donc les caméras pointer en sa direction. Face aux bonnes notes que le régime a reçues, son bulletin pourrait avoir des répercussions sur plusieurs administrations à travers la planète, mais aussi dans sa propre cour. Paradoxalement et en trame de fond, un autre enjeu se dessine : assurer la pérennité du Parti communiste chinois (PCC) à la tête de la République.
Or, après son faux pas en début d’éclosion à Wuhan, le Parti s’est résolu à admettre l’existence du virus. Faute avouée à demi pardonnée, il n’aura fallu que peu de temps au régime et à ses méthodes draconiennes pour prendre le taureau par les cornes.
Et, sous la férule de Xi Jinping, on ne blague pas : rien n’a été laissé au hasard.
76 jours sous les verrous 24 heures sur 24

Il a ordonné l’isolement et il n’a point suivi les modes d’emploi qui s’inspirent du respect des droits de l’homme : il s’est montré sans appel, voire brutal. Les comités de consultation populaire et les positions de l’Organisation mondiale de la santé, il les a laissés à l’Occident.
Le PCC a imposé sa vision des mesures, la seule : interdiction de sortir du domicile 24 heures sur 24. Notamment à Wuhan, la police a « cadenassé » les portes de certaines résidences où les occupants se montraient un peu plus indisciplinés. Résultat : 76 jours sans se pointer le nez dehors.
Dans les régions moins touchées, les autorités ont aussi imposé des mesures : prise de la température forcée, fermeture massive des commerces et suspension complète des droits de déplacements entre régions. La surveillance a aussi été effectuée en géolocalisant les appareils cellulaires. Finalement, au risque de ralentir l’économie, les autorités ont fermé les frontières.
Entre interdire l’accès aux expatriés qui sont employés par plusieurs entreprises sur le territoire et risquer de ralentir à plus long terme l’ascension économique, le choix a été facile. Avec l’objectif de devenir la plus grande puissance mondiale, il était impensable que la Chine communiste tolère qu’une pandémie freine la montée du pays.
En définitive, la Chine a livré son résultat au reste du monde : hormis quelques nouvelles éclosions, le pays ne semble pas avoir vécu de véritable deuxième vague. Quant aux chiffres, ils sont éloquents. Dans un pays peuplé de plus de 1,4 milliard d’habitants, 4845 personnes auraient perdu la vie. Certes, ces chiffres sont fort probablement inexacts. Mais les chiffres sont potentiellement erronés à travers toute la planète.
On importe le modèle au Québec ou pas ?
Alors, pourquoi ne pas importer le modèle ? Parce que les populations chinoises et québécoises ont des philosophies et des cultures différentes ; parce que leurs pratiques sanitaires ne sont pas les mêmes ; parce que leurs modèles urbains sont différents ; parce que les deux sociétés n’ont pas les mêmes habitudes commerciales.
Sur le plan social, la population asiatique est habituée à vivre en collectivité. Avant de penser à ses besoins personnels, le citoyen chinois pense en fonction de son voisin. Et pour cause : la densité de la population ne lui permet pas de penser différemment. Pendant qu’on retrouve 5,8 habitants/km² au Québec, on retrouve plus de 146 habitants/km² en Chine.
Sur le plan des mesures sanitaires, la population asiatique utilise le masque depuis fort longtemps. Cette pratique est enracinée dans la culture. Or, au Québec, les autorités québécoises se questionnaient et se demandaient encore il y a quelques mois si elles devaient la mettre en pratique ou pas. Quant au plan urbain québécois, on construit d’une façon horizontale et peu de personnes occupent une même résidence. En Chine, les constructions sont verticales afin d’y loger plus de personnes et le contrôle des accès se fait de l’extérieur.
Sous l’angle commercial, la Chine avait déjà un commerce en ligne particulièrement développé. Les personnes confinées à temps plein à la maison n’avaient qu’à se faire livrer tout ce dont elles avaient besoin en passant leurs commandes avec leurs smartphones. Quoique le modèle se développe rapidement au Québec, la province n’était pas encore préparée pour l’adapter à la pandémie.
Des systèmes politiques aux antipodes
Sur le plan politique, à moins que le Canada ne bouleverse son système constitutionnel et déchire la Charte canadienne des droits et libertés, le Québec n’est pas près d’adopter des mesures aussi radicales que celles qui ont été prises par Pékin. On n’a qu’à se rappeler que les citoyens vivent encore dans un état de droit, même si l’état d’urgence a été déclaré pour la première fois au Québec depuis la crise d’octobre de 1970.
Toutes les discussions entourant la possibilité de créer un passeport santé pourraient-elles préparer le terrain à des changements constitutionnels aussi profonds ? Cela serait surprenant, mais il faut quand même se souvenir qu’au 13 mars 2021, le Québec était la seule province canadienne à avoir imposé un couvre-feu à sa population.
En revanche, le Québec a été témoin de l’éclatante victoire de François Legault aux dernières élections provinciales. Le message de la population avait été sans ambiguïté : elle voulait du changement. Or, face au risque de se faire montrer la porte de l’Assemblée nationale, un gouvernement se montrera prudent avant de s’attirer les foudres des électeurs.
A contrario, à Pékin, Xi Jinping est presque devenu de facto un président à vie. Ses théories politiques et sociales ont été jointes à la Constitution de la République. Le pouvoir est entre ses mains. L’armée est sous son contrôle. La police est répressive. Ses institutions sont construites afin de renforcer le respect de l’autorité.
L’épée de Damoclès
D’ailleurs, la population chinoise vit sous un système de pointage qualifié de « crédit social » : « Les individus ont l’obligation de se conformer aux attentes de l’État sur ce que signifie être un bon citoyen. Sinon, ils sont rétrogradés dans la citoyenneté. » (Le Monde, 2020)
Notamment par son développement de l’intelligence artificielle, Pékin a mis en place une puce électronique qu’on a insérée dans la carte d’identité des citoyens. Même si le système n’est pas encore parfait, cette puce est en mesure d’accumuler de nombreuses informations qui sont utilisées afin d’accorder une note de bonne ou mauvaise conduite aux individus, au même titre qu’aux personnes morales.
Ces mauvaises notes peuvent avoir des effets sur les droits de circuler dans le pays et d’en sortir. Mais, ce n’est pas tout. Avec son système de crédit, Xi Jinping « instaure ainsi une gouvernance automatisée, aux dépens des checks and balances (« freins et contrepoids ») des démocraties et de la création d’institutions solides, susceptibles d’entamer le monopole du parti sur le pouvoir ». (Le Monde, 2020)
Ce système sert donc d’épée de Damoclès. Le citoyen occidental pourrait le considérer comme une atteinte aux droits de l’homme et il aurait raison. Bien que cela puisse paraître insensé, dans l’échelle des valeurs de la population chinoise, le non-respect des droits de la personne cède le pas à un plus grand mal : la corruption.
Entre la privation de ses droits individuels — à laquelle il est habitué depuis fort longtemps — et la lutte à la corruption, le peuple chinois préfère que les efforts soient mis dans le deuxième. Outré par plusieurs scandales qui ont spécialement entouré les industries de la sécurité alimentaire et des médicaments, le peuple accorde une plus grande importance à ces enjeux.
Plus que jamais conscient de l’existence d’une bombe à retardement, le PCC a travaillé sur la codification des lois et a modernisé ses systèmes judiciaires et bancaires afin que sa population lui fasse confiance. Sur le plan économique, c’était déjà joué.
La propagande à son meilleur
Parlant d’économie, elle a explosé depuis les années 1970. La classe moyenne constitue 40 % de sa population. Il ne manquait que la victoire face à la COVID-19 pour que Xi Jinping profite de la fierté populaire afin de la transmettre à sa population.
Or, reconnu pour sa capacité de museler la liberté d’expression, le régime communiste chinois est tout aussi capable de laisser filtrer les messages qu’il choisit de partager. Il n’en fallait donc pas plus pour qu’il accueille les éloges bien trempés de certains citoyens qui ont porté le PCC en héros national.
Attrapant la balle au bond, le secrétaire général du PCC a su en profiter en soulignant la réussite de son peuple « mais surtout grâce à la direction ferme du parti communiste chinois qui est le pilier sur lequel le peuple chinois peut s’appuyer. » (Le Monde, 2020)
Le capitalisme : l’ennemi du parti ?
Les effusions seront-elles suffisantes pour freiner une éventuelle percée de la démocratie sur le sol chinois ?
Quoique l’ancien président américain George W. Bush ait déclaré en 2007 que le temps jouerait en faveur de l’Occident à force de commercer avec la Chine, la théorie de la modernisation est loin de faire l’unanimité. Les résultats d’une étude menée en 2019 par le professeur Daniel Treisman de l’université américaine UCLA pourraient annoncer une évolution encourageante.
La prudence est ici fortement suggérée. Même si l’augmentation du revenu de la population renforce la probabilité d’une transition démocratique, elle se fait généralement dans une perspective à moyen terme. On ne peut ignorer le fait que le PIB par habitant a augmenté depuis 20 ans. Mais, au jeu des comparaisons, on ne peut ignorer que le PCC est toujours bien en selle.
Faites vos jeux, les dés sont lancés. Devant l’instabilité mondiale, ce n’est pas demain que nous verrons le Québec embrasser le modèle chinois dans sa gestion de la pandémie et encore moins voir la Chine faire défection vers l’Ouest.
____________________________________________
Pour en savoir plus :
Hopkins, J. (2021, 25 avril). Coronavirus by region: China. John Hopkins, University & Medicine. https://coronavirus.jhu.edu/region/china.
Arsène, S. (2021/1 No. 225). Le système de crédit social en Chine : la discipline et la morale. CAIRN.INFO. https://www.cairn.info/revue-reseaux-2021-1-page-55.htm.
Foucart S. (2021, 26 mars). Covid-19 : comment la Chine mène une guerre de l’information pour réécrire les origines de la pandémie ? Le Monde. https://www.lemonde.fr/international/article/2021/03/26/l-offensive-de-pekin-pour-faire-oublier-le-virus-chinois_6074498_3210.html.
Colpron, S. (2021, 13 mars). Pourquoi le Québec y a adhéré ? La Presse. https://www.lapresse.ca/covid-19/2021-03-13/champion-du-couvre-feu/pourquoi-le-quebec-y-a-adhere.php.
Agence France-Presse (2021, 25 février). Lutte contre la pauvreté : Xi Jinping vante le « miracle » chinois. La Presse. https://www.lapresse.ca/international/asie-et-oceanie/2021-02-25/lutte-contre-la-pauvrete/xi-jinping-vante-le-miracle-chinois.php.
Comment la Chine a-t-elle évité la deuxième vague de Covid-19 ? (2020, 10 décembre). The Conversation. https://theconversation.com/comment-la-chine-a-t-elle-evite-la-deuxieme-vague-de-covid-19-150492.
Leplâtre, S. (2020, 4 novembre. Mis à jour 2020, 5 novembre). Face au coronavirus, la Chine écrit sa légende. Le Monde. https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2020/11/04/face-au-coronavirus-la-chine-ecrit-sa-legende_6058528_4500055.html.
André, P. (2020, 4 novembre). La croissance économique chinoise va-t-elle conduire à la démocratie? Telos. https://www.telos-eu.com/fr/politique-francaise-et-internationale/la-croissance-economique-chinoise-va-t-elle-condui.html#_ftnref7.
Lemaître, F. (2020, 9 septembre). La Chine met en scène sa « victoire » sur le Covid-19. Le Monde. https://www.lemonde.fr/international/article/2020/09/09/la-chine-de-xi-jinping-met-en-scene-sa-victoire-sur-le-covid-19_6051523_3210.html.
Pedroletti, B. (2020, 16 janvier). En Chine, le « crédit social » des citoyens fait passer les devoirs avant les droits. Le Monde. https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/01/16/le-credit-social-les-devoirs-avant-les-droits_6026047_3232.html.
Arsène, S. (2021, 25 avril). Le système de crédit social en Chine : la discipline et la morale. CAIRN.INFO. https://www.cairn.info/revue-reseaux-2021-1-page-55.htm.