Par Mathieu-Robert Sauvé
Thomas Laberge documente un mouvement qui ne jure que par la liberté individuelle.
Ministre de l’Industrie dans le gouvernement de Stephen Harper de 2006 à 2008, Maxime Bernier devait occasionnellement donner des chèques aux entreprises canadiennes qui se qualifiaient pour des programmes de subvention. Mais à titre de libertarien pur et dur, opposé à toute forme de soutien de l’État envers l’entreprise privée, le futur chef du Parti populaire du Canada refusait de poser le geste devant les caméras de télévision. Il envoyait plutôt un collègue le représenter!
Cette anecdote est tirée du premier livre de Thomas Laberge, En rupture avec l’État, paru chez XYZ en octobre 2021. Journaliste politique, Laberge couvre l’Assemblée nationale pour Le Soleil de Québec. Diplômé du Certificat en journalisme de l’Université de Montréal, il présente dans ce livre un tour d’horizon du libertarianisme au Québec. Qui sont ces gens convaincus qu’il faut débarrasser les sociétés humaines de ce monstre (le « Léviathan ») nommé État? Comment ce mouvement est-il né et comment a-t-il évolué sous nos latitudes? C’est ce que Laberge fait en 234 pages fort instructives. Dans le dernier chapitre, l’essai propose même un scénario fictif nous montrant où cette idéologie pourrait mener. Nous sommes en 2025 et le Parti libertarien du Québec vient de prendre le pouvoir. Les citoyens peuvent enfin porter des révolvers pour se défendre en cas d’invasion de domicile et… (j’arrête ici pour ne pas divulgâcher).
Liberté et camionnage
En voyant le même Maxime Bernier s’associer aux barricades de 2022 qui affichent des slogans comme « Fuck Trudeau », « Freedom », « Stop Mandate », on met des images sur ce que l’auteur présente comme une force en croissance. Au Québec, on a scandé des « Fuck Legault », « Liberté », etc.
Les libertariens croient que la liberté individuelle doit primer sur toute règlementation sociale. Pas de salaire minimum, pas d’éducation publique, pas même de police d’État; tout doit être laissé au privé et que le meilleur gagne. Cela les place parfois dans des contradictions inextricables. Par exemple en matière d’avortement. Pour les uns, la liberté individuelle conduit au libre-choix; pour les autres c’est le fœtus qui a le droit de vivre!
Auteur d’une maîtrise en science politique sur le sujet, Thomas Laberge présente un savant dosage de faits et d’explications théoriques sur un mouvement qui n’aspire pas sérieusement au pouvoir au Québec (l’idée sociale-démocrate est beaucoup trop enracinée dans nos élites politiques) mais qui séduit l’Occident depuis une trentaine d’années.
Aux États-Unis, berceau des pères du libertarianisme, c’est une femme, Ayn Rand (1905-1982), qui a fait la contribution la plus significative à cette pensée. Farouchement anticommuniste, Rand prône un capitalisme extrême qui met en valeur l’« égoïsme rationnel », l’une de ses idées maîtresses. Selon un sondage mené par la Bibliothèque du Congrès en 2001, son Atlas Shrugged serait le livre le plus influent de la vie des Ted Cruz, Ron Jonhson, Paul Ryan, Alan Greenspan… après la bible. Un certain Donald Trump s’en réclame aussi.
Avec ce titre, Thomas Laberge s’inscrit dans la lignée des journalistes qui jugent utile de consacrer leurs temps libres à l’écriture d’un ouvrage susceptible d’éclairer leurs contemporains sur des phénomènes actuels. Pari réussi.