Écoanxiété chez les jeunes : un mal nécessaire ?

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Par Déborah St-Victor

« Le fleuve a débordé à Québec ! » « En Alberta, les feux de forêt ont été nombreux ! » « Le nombre de tornades en Saskatchewan a bondi en 2022 ! » « Des militaires canadiens sont arrivés en Nouvelle-Écosse pour aider la province à se relever de [la tempête] Fiona ! »

À chacun de ces événements météorologiques qui font la manchette des journaux, de jeunes Québécois semblent s’effondrer, douter de leur avenir et devenir émotifs. Dès qu’on leur parle des générations futures, de plus en plus de jeunes ressentent de la crainte, de la tristesse voire de l’impuissance face aux bouleversements climatiques. Ils ont l’impression de se battre contre un immense empire formé de pollueurs de la planète.

La psychiatre Evangelia-Lila Amirali, cheffe du département de psychiatrie du CHU Sainte-Justine. (Photo : courtoisie)

« Cette foule d’émotions dites négatives qui vient de l’anticipation des changements climatiques et de leurs conséquences futures est ce qu’on appelle l’écoanxiété », explique la psychiatre Evangelia-Lila Amirali, qui est cheffe du département de psychiatrie du CHU Sainte-Justine, à Montréal. « C’est un phénomène récent et grandissant chez nos adolescents et jeunes adultes », précise-t-elle.

Selon un sondage Léger effectué en 2021 sur la variation du niveau d’écoanxiété ressenti dans la dernière année, pas moins de 73 % des Québécois de 18 à 34 ans affirment faire de l’écoanxiété et 38 % d’entre eux affirment que leur niveau d’écoanxiété a augmenté dans la dernière année.

Symptômes réels d’anxiété

« L’écoanxiété provoque parfois de lourdes conséquences dans la vie des jeunes et même sur leur avenir », constate la docteure. Mentionnons par exemple le témoignage de cette jeune femme de 17 ans, Marie Alexandra, citée dans le magazine Web Fondation jeune en tête : « Je ne veux pas avoir d’enfants à cause de mon écoanxiété. »

« Un enfant souffrant d’écoanxiété, explique la Dre Amirali, pourrait très bien souffrir d’une anxiété ou phobie sociale, c’est-à-dire avoir un malaise ou une hésitation à participer à des activités sociales ou à se surpasser lors de ces activités. Quand l’anxiété augmente, ajoute-t-elle, le jeune tente de la réduire et de la prévenir en ayant des comportements d’évitement. Par exemple, certains jeunes s’isoleront. D’autres resteront à proximité de la porte pour pouvoir sortir rapidement en cas de catastrophe naturelle ou auront une certaine réticence à utiliser les transports en commun, à être dans des lieux achalandés ou fermés ou dans des foules ou à sortir de la maison seul. »

Selon l’experte en psychologie, Christina Popescu, un adolescent ou un jeune adulte souffrant d’écoanxiété pourrait tenter de fuir la réalité en expérimentant les tranquillisants, les drogues et sombrer dans la consommation d’alcool.

Sérieux bémol à l’écoanxiété

Deux étudiants en médecine apportent toutefois un sérieux bémol à la façon de comprendre l’écoanxiété chez les Québécois.

Le médecin résident en psychiatrie, Wolf Thyma, est d’avis qu’il faut faire preuve de prudence lorsqu’on parle d’écoanxiété. « J’ai cette crainte que l’on tente parfois de « pathologiser » une réaction souvent normale face à une situation très inquiétante, confie-t-il. L’avenir de notre planète est bel et bien menacé. L’anxiété qui accompagne ce fait réel devient à mon avis « problématique » lorsqu’une détresse psychologique marquée en découle et qu’il y a une atteinte significative au fonctionnement. Et ce n’est pas toujours le cas. »

Mélody Porlier, étudiante en médecine à l’Université de Montréal et doctorante en écologie. (Photo : courtoisie)

Tout comme le Dr Thyma, pour Mélody Porlier, étudiante en médecine à l’Université de Montréal et doctorante en écologie, l’écoanxiété n’est pas une pathologie en soi. « Ce ne sont évidemment pas tous les jeunes qui développeront des symptômes inquiétants », souligne-t-elle.

Rester dans l’action

« Même si certains jeunes démontrent des signes de détresse face aux questions d’environnement, l’important c’est de rester dans l’action et de faire sa part pour créer un impact positif au niveau de sa communauté », affirme avec confiance la Dre Amirali. « Plutôt que de s’inquiéter outre mesure de ce que les autres ne font pas, nous rassurons ces écoanxieux que la population fait de son mieux pour protéger notre planète et nous les encourageons surtout à jouer leur propre rôle. »

La psychiatre rappelle d’ailleurs la stratégie des trois R lorsqu’on lui demande quelques idées très simples à proposer à ces jeunes qui souhaitent changer les choses au profit de l’environnement. « Ça consiste à réduire, réutiliser et recycler les produits ou certaines de leurs parties qui deviendraient autrement des déchets », explique-t-elle.

« Si pour certains jeunes cette prise de conscience de la situation climatique s’accompagne d’anxiété, c’est à nous – adultes, parents, professionnels de la santé, professeurs – de les aider à agir positivement », conclut la Dre Amirali.

La Faculté de médecine de l’UdeM a d’ailleurs mis en œuvre des initiatives pour aider ses étudiants à rester engagés et actifs face à la progression rapide du réchauffement climatique.

« C’est une des missions du groupe Crise climatique et santé planétaire de l’UdeM », confirme le Dr Bernard Mathieu, professeur adjoint de clinique au Département de médecine de famille et de médecine d’urgence de l’UdeM et urgentologue à l’hôpital Maisonneuve Rosemont. « Avec quatre de mes collègues (dont l’étudiante en médecine citée plus haut), nous avons pour mandat de renouveler le curriculum de la Faculté de médecine pour intégrer les enjeux climatiques dans ses programmes de formation ».

« Notre mandat est de soutenir et d’outiller la faculté de médecine pour qu’elle ait des pratiques exemplaires en matière de santé planétaire. Nous déployons de grands efforts pour qu’elle devienne une cheffe de file en santé publique et pour que son corps professoral accompagne les jeunes dans les démarches qu’ils proposent pour contrer la menace des changements climatiques », corrobore Mélody Porlier.

Le statu quo, pas une option

Certains jeunes et moins jeunes Québécois ont fait le choix de ne pas rester les bras croisés. Pour eux aussi, comme l’a mentionné le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, dans son introduction lors de la 15e Conférence des Parties à la Convention sur la diversité biologique à Montréal : « Il n’y a pas de planète B ! C’est à nous de réparer le monde que nous avons. »

« Pour certains, le combat se limite à un mode de vie plus vert. D’autres font une pause de leurs études pour militer pour quelque chose qu’ils jugent urgent », affirme Mme Porlier.

Jacob Pirro et Isabelle Grondin Hernandez relataient dans un article de La Presse, en décembre, qu’ils ont mis leurs études universitaires de côté pour se consacrer pleinement à la lutte pour la justice climatique, un combat qui soulève la question des inégalités socio-économiques face aux effets du changement climatique.

Devant l’urgence climatique, le gestionnaire de projet pour la Fondation David Suzuki, Albert Lalonde, milite aux côtés de 14 autres jeunes et poursuit le gouvernement canadien pour sa responsabilité dans la crise climatique.

Un groupe d’étudiants passionnés par le développement durable et motivés à faire du campus de médecine de Trois-Rivières un lieu écoresponsable a implanté un système de compostage sur le campus de médecine Mauricie.

Une équipe d’étudiants en médecine de McGill ont créé en 2022 Climate Wise, un référentiel en ligne à accès libre de diapositives enseignant la santé planétaire, conçu pour être intégré dans les cours de médecine.

Jacob Pirro a exprimé à La Presse sa motivation et ce que ces actions lui font ressentir : « Nous [Isabelle Grondin Hernandez et lui] lâchons l’école parce que le système nous a lâchés. Parce que nos luttes sont le seul espoir d’un avenir meilleur. D’un avenir tout court. »

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