Par Déborah St-Victor
Portrait 3 du Mois de l’histoire des Noirs
Qu’arrive-t-il aux médecins issus de l’immigration quand ils arrivent au Québec ? Ici, les politiques d’immigration visent à attirer « les meilleurs et les plus brillants ». En 2005, Dr Emmanuel Patrice Valcin, lui, a choisi d’émigrer avec sa famille dans cette province, comme travailleur qualifié, à cause du climat d’instabilité sociale et politique qui régnait en Haïti. Mais surtout pour offrir à ses enfants un environnement favorable pour accomplir leur scolarité.
En arrivant à Montréal, la réalité frappe fort. Une fois les premières démarches d’installation complétées, la priorité du Dr Valcin est de trouver le plus rapidement possible un emploi transitoire pour ne pas être à la charge du gouvernement et pour subvenir aux besoins de sa famille. Gardien de sécurité de soir et de fin de semaine, puis infirmier auxiliaire. Retour à la case départ. Il se remémore avec émotion ces années de sacrifices. Par la force des choses, il apprend l’humilité et fait preuve de résilience.
Diplômé de la Faculté de médecine et de pharmacie de l’Université d’État à Port-au-Prince depuis 2002, Dr Valcin a déjà cumulé plusieurs années d’expérience comme docteur en Haïti avant de venir au Québec.
Fort de ce bagage, il aurait tellement souhaité être reconnu comme médecin tout juste après son arrivée au Canada. Mais ce n’est pas si simple que cela… La médecine au Québec est régie par une instance de réglementation et par un ordre professionnel. Ce qui implique qu’il faut se conformer aux exigences du Québec pour prétendre au titre de médecin.
Pour Dr Valcin, la formation se veut rigoureuse et longue. Démarches intenses, semées d’embûches. C’est un processus éprouvant humainement et financièrement. Il lui faut dépenser à nouveau de fortes sommes qui ont déjà été payées pour ses études dans son pays. Les obstacles dressés devant le Dr Valcin sont innombrables. Concilier le travail et la famille.
Entreprendre des études universitaires de 2e cycle et se préparer à l’examen en vue de l’obtention de son permis d’exercice de la médecine au Québec n’est pas une sinécure. Mais sa détermination n’est pas éteinte pour autant. Ses motivations demeurent intactes : besoin de se sentir utile, attrait pour les aspects scientifiques et désir de se réaliser à la hauteur de ses compétences. Mais surtout sa volonté de soigner les gens de sa terre d’accueil.
Sur le long chemin de la transition professionnelle, il reste un vrai battant. Dr Valcin se dit : « Ça prendra le temps que ça prendra… » C’est un ambitieux qui souhaite passionnément réussir. Et réussir signifie avoir une heureuse issue. En 2014, soit 10 ans après son arrivée au Québec, il obtient enfin une place de résidence en médecine familiale à l’Université de Montréal.
Maintenant, il est médecin de famille. Diplômé deux fois pour la même profession, il en rit aujourd’hui. Dans son quotidien, il fait de la prise en charge, des suivis de patients et des gardes hospitalières en soins palliatifs à la Maison de la Sérénité à Laval.
« Parfaire sa formation universitaire ici, reconnaît Dr Valcin, présente l’avantage d’un meilleur accès aux connaissances, aux bases de données d’études scientifiques dans les différents domaines médicaux et à des plateaux techniques beaucoup plus modernes. »
Il va sans dire qu’être un étudiant immigrant de la communauté noire en médecine est souvent un défi. Accusés de favoritisme envers les étudiants qui ont été au cégep ici, certains professeurs sont pointés du doigt. Cette méfiance et cette réticence à l’égard de ceux qui ont étudié la médecine dans un pays en développement semblent exister. Paradoxe : les compétences de ces praticiens immigrants ont pourtant été hautement valorisées dans leur pays.
Face à ces malheureuses expériences, certains se sentent révoltés et se découragent. Dans le cas du Dr Valcin : il n’était pas question de signer l’acte de décès de sa profession ! « Être médecin, dit-il, ce n’est pas juste avoir un diplôme. C’est viscéral. Tout au fond de moi. »
Le proverbe créole le dit bien : « Derrière les montagnes, il y a des montagnes. » Dans la vie se présentent des défis à relever les un après les autres. Aujourd’hui professeur à l’Université de Montréal, il exhorte plus que jamais ses deux garçons et les autres jeunes de sa communauté à ne pas se décourager en leur invoquant une de ses citations préférées, celle d’Albert Einstein : « La vie, c’est comme une bicyclette. Il faut avancer pour ne pas perdre l’équilibre. »
Et il poursuit : « Si j’ai pu faire ma place ici comme immigrant malgré les nombreux défis associés à une intégration au système médical québécois, vous le pouvez aussi. C’est un parcours difficile, mais gratifiant et pas impossible. » Il souhaite ardemment à tous les jeunes immigrants qui choisissent le Québec comme terre d’accueil un avenir à la hauteur de leurs attentes.