Crise de la presse écrite à l’avènement des médias sociaux

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Par Philippe Thadal

Depuis deux décennies, la presse écrite traditionnelle s’enlise dans une crise financière liée à l’avènement d’Internet et des réseaux sociaux. Selon le Forum des politiques publiques (FFP), cette crise met en péril le journalisme civique si important pour la démocratie, sans pour autant laisser entrevoir une solution viable.

Le miroir éclaté : Nouvelles, démocratie et confiance dans l’ère numérique, un portrait du Forum des politiques publiques. (image FFP)

Le (FFP) dresse un portrait saisissant de cette crise dans son récent rapport titré : Nouvelles, démocratie et confiance dans l’ère numérique. On apprend que cette crise frappe la presse écrite traditionnelle plus sévèrement que les autres médias. De nouvelles sources d’accès à l’information sur Internet détournent une partie significative du lectorat. Et, les annonceurs ont bien entendu suivi les lecteurs.

Le rapport distingue le journalisme civique qui vise à informer le citoyen sur les sujets d’intérêt public du journalisme de service qui cherche à capter l’attention en se focalisant sur ce qui intéresse le public. Contrairement au second, le premier est vital pour la démocratie. Cette crise est si profonde qu’elle met en péril le journalisme civique. Les chiffres sont éloquents.

L’ampleur de la crise

Entre 2006 et 2015, les revenus de publicité des journaux au Canada, qui constituent en moyenne 75 % de leurs revenus, ont chuté de plus de moitié, passant de 1,8 milliard à 907 millions $. La même tendance est observée dans les autres pays de l’OCDE, alors que la publicité numérique, elle, est en forte hausse. Mais les journaux n’en profitent pas! Et ce, malgré leur présence sur le Net. Alors, qui en sort gagnant?

Le rapport nous indique qu’au Canada, Google et Facebook ont empoché 84 % des publicités en ligne. Aux États-Unis, ces deux géants du Net ont capté 90 % de la croissance des publicités en ligne sur cette période. Mais la crise n’est pas juste une crise financière consécutive à la concurrence entre entreprises de presse et médias sociaux.

Le (FFP) dévoile un bouleversement encore plus important. Comme autrefois, les médias détiennent toujours le contrôle de l’information pour capter l’attention du public. En revanche, le Net permet dorénavant d’échanger les mêmes informations et les publicités avec autrui en lui donnant la possibilité d’en tirer un bénéfice économique grâce aux innombrables clics d’internautes. Les médias sociaux font tomber la presse traditionnelle de son piédestal. Certains diront peut-être : pour le meilleur ou pour le pire !

Des conséquences colossales

Les conséquences sont de taille. Selon le Guide canadien des médias cité dans le rapport, durant les dernières décennies, plus de 12 000 postes de journalistes ont été perdus, dont 1000 pour la seule année 2016. Pour beaucoup de quotidiens régionaux, c’est la faillite.
« Les articles de fond, les reportages et les enquêtes étant maintenant plus rares, les programmes d’informations portent de nos jours davantage sur les faits divers et les annonces institutionnelles faites par l’entremise de communiqués et de conférences de presse », a déploré John Cruickshank, ancien directeur de CBC News et ancien éditeur du Toronto Star, cité dans le rapport.

Enquête d’un nouveau modèle d’affaires

Les quotidiens peinent à trouver un nouveau modèle économique adapté au nouveau paysage de la sphère médiatique. Les mesures à court terme ne sont pas adaptées à cette crise structurelle. Le marché avait changé, et il faut s’adapter pour survivre.

Des médias, comme La Presse et Le Toronto Star, ont opté pour le numérique, en totalité ou en partie. Cela permet de réduire les coûts et de s’impliquer à fond là où cela se passe : sur le Net.

Dans certains cas, des médias ont été secourus par un magnat de la finance ou du Net. Par exemple, en 2013, le Washington Post a été acheté par Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon, pour 250 millions de dollars.

Dans cet univers numérique du « tout gratuit », certains médias optent malgré tout pour le financement par les lecteurs. C’est le cas du Canadaland, financé à hauteur de 65 % par un financement participatif et à 35 % par les publicités.

Le journalisme civique est mis en péril dans cette crise et le Forum propose des politiques publiques pour corriger la situation. Son rapport propose, entre autres : la taxation des géants de l’Internet qui font déjà d’importants profits dans leurs activités avec des résidents du Canada; la création d’un Fonds pour l’avenir du journalisme civique; et des réformes fiscales pour adapter les lois aux réalités du Net et pour supprimer les obstacles au financement philanthropique des médias.

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