Couillard relance le débat sur la neutralité de l’État

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Par Yan Brassard

Le premier ministre du Québec, Philippe Couillard, doit se rendre à l’évidence : l’identité est un enjeu qui reviendra le hanter aux prochaines élections. En se rangeant derrière le philosophe Charles Taylor, il donne des munitions à ses adversaires.

Le premier ministre du Québec, Philippe Couillard, en compagnie du premier ministre du Canada,
Justin Trudeau.
(Source : site Web du premier ministre du Québec – www.premier-ministre.gouv.qc.ca).

Il y a 3 mois, Charles Taylor a fait volte-face sur le port de symboles religieux ostentatoires pour les employés de l’État en position de coercition. Le premier ministre en a profité pour faire voler en éclats le consensus qui s’était dessiné sur le sujet.  « On a toujours été opposé à la discrimination vestimentaire. Ce que dit M. Taylor est très important, c’est un des 2 commissaires. Ça permet de constater que lorsqu’on a des principes il faut y tenir ! Ce n’est pas des avocasseries, mentionne en conférence de presse M. Couillard le 14 février 2017, ce sont des principes. »

Or, les libéraux devront tenir compte des inquiétudes de la population québécoise. L’ancien coprésident de la commission, Gérard Bouchard, met le premier ministre en garde : « Parce qu’il n’y a plus d’entente, le PQ et la CAQ seront tentés de reprendre leurs billes jusqu’aux prochaines élections. » En effet, l’opposition ne manquera pas de tirer profit de ce sujet. Jean-François Lisée a déjà sauté sur l’occasion pour critiquer le premier ministre : « On continue à avoir espoir que les libéraux branchés sur le réel vont avoir gain de cause face à l’intransigeance de M. Couillard. »

Le consensus vole en éclats

Jusqu’à présent, tous les partis de l’Assemblée nationale s’entendent sur un point : il faut interdire les symboles religieux ostentatoires pour les juges et les policiers. Le Parti québécois fragilisé par le débat sur la charte aux élections de 2014 met de l’eau dans son vin et adhère au consensus. Le rôle de Philippe Couillard n’est pas de défendre seulement cette vision, il doit aussi rester en symbiose avec l’ensemble de la population pour faire accepter la charte.

Comme le dit M. Bouchard, Philippe Couillard semble avoir une vision radicale des libertés individuelles. Pour lui, le Québec n’est pas une collectivité, mais un ensemble d’individus atomisés. En d’autres mots, le premier ministre défend le multiculturalisme canadien. C’est la vision de Pierre Elliott-Trudeau, le père de l’actuel premier ministre du Canada. Mais ce multiculturalisme n’a pas la cote auprès des Québécois puisqu’il est perçu comme un moyen de nier l’identité québécoise.

En septembre 2015, le sociologue Gérard Bouchard rédige un article dans le journal Le Devoir. Il y mentionne que « le modèle québécois diffère du modèle canadien » et que cette différence tient au fait qu’il « existe au Québec un rapport minorité-majorités » dont ne prend pas en compte le multiculturalisme. Les Québécois se perçoivent comme une minorité dans un Canada à prédominance anglophone. En ne tenant pas compte de ce facteur, Philippe Couillard risque de perdre encore davantage de votes chez les francophones aux prochaines élections.

Le sentiment des Québécois peut être le résultat d’une fausse perception. En démocratie, le peuple n’a pas toujours raison. C’est pourquoi il existe des chartes et des tribunaux pour protéger les droits des minorités. Par contre, tout comme avec la loi 101, le gouvernement du Québec peut légalement utiliser la disposition de dérogation pour passer outre à l’article 2 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Le test des tribunaux surmonté

En effet, la charte n’interdit pas de s’y déroger si les raisons évoquées sont jugées raisonnables. Dans ce cas, le premier ministre pourrait appliquer les recommandations de la Commission Bouchard-Taylor en invoquant les résultats du rapport. Cela serait un argument raisonnable pour convaincre les juges. D’autant plus que dans ce rapport, l’avis des experts a été pris en compte. Les recommandations ont été jugées constitutionnelles par les juristes consultés par Gérard Bouchard et Charles Taylor, les coauteurs du rapport.

Qu’attend le premier ministre pour aller de l’avant ? Il se pourrait que la tiédeur avec laquelle les libéraux accueillent toute interdiction de symboles religieux soit liée à des raisons électorales. La majorité des analystes chevronnés le disent : les libéraux ont beaucoup d’appuis auprès des communautés culturelles, en particulier dans la région de Montréal. S’ils vont de l’avant, ils risquent de froisser une partie de leur base électorale.

Néanmoins, le gouvernement ne peut pas se maintenir éternellement au pouvoir en abandonnant les inquiétudes des régions. Le cynisme n’est pas seulement de ne pas respecter ses promesses électorales. C’est aussi d’avoir une approche clientéliste. Philippe Couillard ne peut pas se défiler d’un débat de société parce que cela est un enjeu délicat pour une partie de son électorat. Il se sert de la volte-face de Charles Taylor, mais si le vent change de direction, à la réception, le boomerang risque de le décevoir…

Un électorat acquis ?

Il ne faut pas prendre ses électeurs pour acquis. Les libéraux l’ont appris à leurs dépens au cours des dernières élections partielles.  Le comté de Verdun, au cœur de l’île de Montréal, est demeuré libéral en décembre 2016. Même si M. Couillard se faisait rassurant en soutenant que la composition des sièges à l’Assemblée nationale n’a pas changé, ces partielles ont lancé un avertissement.

C’est avec 50% des voix que Jacques Daoust avait remporté ce comté aux élections générales de 2014. En décembre dernier, la candidate libérale Isabelle Mélançon a récolté 35% des suffrages. Ce recul des libéraux a surtout profité au Parti québécois. Leur candidat, Richard Langlais, a perdu par 766 voix. Dans ces circonstances, le PQ a fait beaucoup mieux qu’il espérait.

Revenir sur cette élection partielle semble anodin. Pourtant, cet exercice est nécessaire pour comprendre une chose : le PQ peut faire des gains dans certains comtés que les libéraux considèrent comme acquis. Cela signifie que le refus du premier ministre de parler d’un sujet aussi délicat que l’identité ne le protège pas d’une remontée du Parti québécois. Au contraire, cela peut même convenir à ses adversaires.

D’un point de vue électoral, il n’est pas clair que les libéraux ont beaucoup à perdre en se rangeant derrière la commission Bouchard-Taylor. On pourrait même dire que cela pourrait se révéler payant. Les comtés libéraux de l’ouest de l’île de Montréal demeureront libéraux, quoi qu’il arrive. Les anglophones ont horreur des séparatistes et ont toujours perçu les libéraux comme un rempart.

Quant aux allophones, qu’on retrouve un peu partout sur l’île, mais qui sont concentrés dans des comtés comme Ville-Marie, ils ont peu d’appartenances identitaires au Québec. Ils se sentent Canadiens d’abord, et ils votent libéral par défaut puisqu’il est le seul parti résolument fédéraliste qui ne les forcera pas à l’assimilation.

En revanche, dans l’est de Montréal, les libéraux pourraient reprendre du terrain chez le Parti québécois. Sur la rive nord et la rive sud, les courses électorales se jouent à trois : la Coalition avenir Québec, le Parti québécois et le Parti libéral.  C’est là que le bât blesse. Au royaume du 450, la CAQ s’est révélée compétitive aux élections de 2014 avec leur discours autonomiste. Les gens ne veulent plus entendre de référendum, mais se sentent inquiets de voir l’arrivée d’immigrants avec des religions différentes.

De plus, comme ils ne perçoivent pas les bienfaits de la mondialisation dans leur vie quotidienne, cela alimente un certain sentiment d’assiégé. Les libéraux devraient tenir compte de cette réalité, ne serait-ce que pour clarifier les perceptions.

La population veut être rassurée

Un bon gouvernement ne gère pas seulement les finances publiques, il rassure aussi sa population. Philippe Couillard peut revenir sur la période de la charte de Pauline Marois et affirmer que ses adversaires ont soufflé sur les braises.

En disant cela, il n’a pas tort. Le Parti québécois a tenté d’instrumentaliser un enjeu qui divise. Même que pendant sa course à la chefferie, le chef du parti Jean-François Lisée a fait des liens maladroits. On peut se souvenir de son allusion au terrorisme avec des femmes couvertes d’une burqa qui cachent des mitraillettes. Ces allusions n’ont rien pour rassurer les Québécois et alimentent certainement les préjugés.

Cependant, les libéraux ne peuvent pas se servir indéfiniment des dérives causées par ce débat pour nier la nécessité d’en parler. La mise à l’écart de ce débat risque d’aggraver les clivages sociaux et régionaux. Il y a un sentiment grandissant auprès de la population du Québec. Le premier ministre privilégie les intérêts de Montréal et néglige ceux des régions.

Le premier ministre est le député de Roberval, une circonscription située dans la région du Saguenay Lac-Saint-Jean. Les électeurs de son comté voudraient peut-être que le débat sur la neutralité religieuse de l’État ne soit pas occulté. Même si la région de Montréal est moins susceptible d’appuyer un projet de loi encadrant le port de symboles religieux dans la fonction publique, le consensus au sein de la population québécoise n’a pas changé.

D’ailleurs, le chef de la Coalition avenir Québec, François Legault, l’a bien exprimé : « Charles Taylor peut penser ce qu’il veut, il peut changer d’idée, mais les Québécois n’ont pas changé d’idée. »

 Un débat qui traîne

Le débat sur la neutralité religieuse de l’État doit être clos. Au cours de la Révolution tranquille, lorsque l’Église a accepté de se départir de certains privilèges, le processus de laïcisation de l’État québécois a commencé. Aujourd’hui, il est vrai que le contexte est différent. La montée des discours populistes se fait sentir partout en Occident, et il ne faut pas tomber dans le piège de l’ostracisme des communautés culturelles.

C’est pourquoi le débat sur la neutralité religieuse de l’État doit se faire sereinement et de façon responsable. Si le premier ministre veut que ce débat se fasse sereinement, il peut profiter de cette occasion pour faire les nuances nécessaires.

Au cours des élections provinciales de 2014, le premier ministre Couillard disait ceci à propos du tchador, de la burqa et du niqab : « Nous considérons que le port de ces trois vêtements pour la femme est l’instrumentalisation de la religion pour des fins d’oppression et de soumission. » Non seulement il a refusé de légiférer à ce sujet, mais il défend le droit des femmes de porter le voile intégral. Que s’est-il passé entre 2014 et aujourd’hui ?

Il est probable que le premier ministre n’a jamais eu l’intention d’interdire ces symboles, mais que dans le chaud du débat sur la charte des valeurs québécoises de Pauline Marois, il était obligé de trouver un compromis pour se faire élire. La politique est aussi faite de compromis. Un premier ministre inflexible face aux propositions de l’opposition risque d’alimenter le cynisme au sein de la population.

Dans le cas de la neutralité religieuse de l’État, l’opposition a de bonnes chances de ramener la question à l’agenda aux prochaines élections. Elle ne se privera pas d’accuser le gouvernement d’avoir torpillé le consensus issu de la commission Bouchard-Taylor.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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