Thomas Gerbet : un Français à Radio-Canada

Médias

Par Cédric Thévenin

Le Français Thomas Gerbet est arrivé au Québec à 22 ans, après avoir étudié dans son pays natal l’enseignement du sport. Douze ans plus tard, il pratique le journalisme au sein d’un bureau d’enquête de Radio-Canada à Montréal. Une reconversion qui lui a demandé de gros efforts.

Thomas Gerbet a été l’envoyé spécial de Radio-Canada en Inde en 2017 pendant 3 mois. Il utilisait un téléphone intelligent pour réaliser ses reportages. Photo : Prince Shah.

Reporter + : Peux-tu résumer ton parcours ?

Thomas Gerbet : J’ai étudié pour être professeur de sport en France. Puis j’ai décidé d’aller au Québec, car j’y avais des contacts, et de me réorienter en suivant les cours de l’UdeM pour obtenir un certificat de journalisme. J’ai commencé à travailler au journal étudiant Quartier Libre. Et tout de suite après l’obtention de mon certificat, j’ai fait un stage à Radio-Canada, en Abitibi. Ce média m’a ensuite proposé d’aller à Sudbury. Je suis resté là-bas trois ans en tant que permanent. J’ai touché à tout : vidéo, radio, un peu le Web. Après, j’ai eu envie de rentrer à Montréal. J’y ai fait ma place en tant que remplaçant, toujours à Radio-Canada. Après deux ans, je suis devenu permanent à temps complet. Depuis, je suis journaliste multi-plateforme, surtout en radio et Web. Je traite de nouvelles dans l’actualité montréalaise. Je suis très libre dans mes sujets. C’est parce que j’ai fait ma chance.

R+ : C’est-à-dire ?

T. G. : Après mon retour à Montréal, je faisais du remplacement à la radio, pour des reportages de nouvelles. Ensuite j’ai été affecté en tant que permanent à une émission radio matinale. Ça a duré trois ou quatre ans. Tôt le matin, à 5h, il ne se passe pas toujours grand-chose. Je devais donc traiter beaucoup de faits divers. Ça ne m’excitait pas du tout. Alors, j’ai dit : « je vais trouver un sujet original, un scoop et je vous l’apporterai demain matin, au cas où… » J’ai développé plus d’histoires originales. Puis j’ai été dégagé à temps complet pour faire ça.

R+ : Quelles difficultés as-tu rencontrées en tant que Français ?

T. G. : Ma plus grande difficulté a été d’obtenir une bonne connaissance du contexte afin de décoder l’importance des informations et ne pas laisser passer de sujets. J’ai dû effectuer un important rattrapage dans les domaines de la politique, de l’histoire, de la culture. Il a fallu que je travaille deux fois plus que les autres. J’ai beaucoup lu mais il a aussi été important de m’ouvrir à la discussion dans ma vie personnelle, ne pas rester qu’avec des Français. J’ai baigné dans un milieu fréquenté par beaucoup de Québécois grâce à ma copine et à ma belle-famille. J’ai également rattrapé mon retard en travaillant comme journaliste et en étant attentif à l’actualité. Mais au Québec, je n’ai jamais été discriminé, même pour l’accent. Alors qu’un Québécois en France, où même les accents régionaux ne sont pas tolérés à la radio… J’ai quand même dû gommer des expressions comme « du coup », changer certaines prononciations de mots tels « qu’autochtone » et faire l’effort – beaucoup ne le font pas – d’utiliser le bon vocabulaire, pour passer le plus inaperçu possible et permettre aux gens de rester concentrés sur ce que je raconte.

R+ : Tu as même eu la possibilité de pratiquer le journalisme international…

T. G. : Oui, j’ai été très surpris quand on m’a proposé ça. Les Français pour la nouvelle locale, c’est bien. Mais pour l’international, Radio-Canada a quand même envie d’entendre la voix canadienne. Surtout qu’elle travaille déjà avec beaucoup de pigistes français (de France Inter, par exemple). Finalement, même là on ne les dérange pas ; j’ai essayé de penser à ce qui intéressait les gens d’ici.

R+ : Quels sujets as-tu traités ?

T. G. : J’ai couvert une fusillade dans une école primaire aux Etats-Unis en 2012 ; plusieurs attentats, à Bruxelles et à Orlando ; l’ouragan à Haïti, dans le milieu plus hostile d’une crise humanitaire. Il s’agissait de couvertures ponctuelles d’une semaine. Et l’année dernière je suis parti 3 mois en Inde. J’avais un petit bureau et une caméra. Je m’occupais du montage, de l’écriture et de la recherche de sujets.

R+ : Qu’est-ce que la pratique du journalisme international ?

T. G. : Il faut partir vite, se préparer vite, réagir vite, attraper quelques infos sur place dans la précipitation. Tu sors de ta zone de confort. Quand tu couvres une situation de crise en décalage horaire tu ne dors pas beaucoup pendant trois ou quatre jours. Tu n’as pas ton bureau. Souvent, tu es dans une zone de crise. Il faut être très débrouillard, savoir s’installer immédiatement, monter son reportage en voiture ou par terre dans la rue, résoudre des problèmes techniques. Les gens qui ont besoin d’aide ne font pas de bons envoyés spéciaux.

R+ : Comment être un bon journaliste international ?

T. G. : Il faut se mettre à jour, se demander : « c’est quoi les médias locaux, les sources d’infos ? » Beaucoup être à l’écoute. Parce que tu arrives dans un endroit où tu ne connais personne, où tu ne peux pas travailler de la même façon qu’à Montréal. Mais ça ne se prépare pas tant que ça… C’est beaucoup de débrouillardise. Tu peux d’abord être envoyé spécial au Canada. Je l’ai fait, à propos d’un incendie de maison de retraite, il y a quelques années, dans le Bas-du-Fleuve. C’était l’hiver, je partais avec mon petit camion, je montais dans ma chambre d’hôtel. Ce sont les mêmes conditions qu’à l’international si ce n’est que les gens parlent français, que tu es sur le même fuseau horaire que ta salle de nouvelles et que tu as le numéro de téléphone de quelques personnes.

R+ : Tu fais de l’enquête maintenant…

T. G. : Oui, depuis trois ans, dans le bureau d’enquête de Radio-Canada ancré dans l’actualité. Mes recherches durent deux jours. Je peux donc sortir trois ou quatre histoires par semaines. Ca me plaît. Parce que travailler six mois sur un sujet et me faire scooper, ça me rendrait fou. Je préfère aussi produire du contenu pour le Web et la radio. Pour la télé, ils font parfois un jour de déplacement pour dix secondes d’images…

R+ : Quelles compétences as-tu développées en enquêtant ?

T. G. : Dans le journalisme, tout est enquête : essayer de sortir des sentiers battus, chercher ce qui n’est pas connu… Dans l’enquête il faut toutefois un peu de ruse : essayer de convaincre les gens de parler, protéger ses histoires pour qu’elles ne sortent pas ailleurs. On découvre ça au fur et à mesure. Avec le temps, on développe également des contacts. Quelqu’un t’a refilé une histoire, peut-être qu’il va te rappeler. Plus tu sors d’histoires, plus les gens t’appellent. Le reste, ce sont des compétences que tout journaliste est censé avoir. Quand les documents reçus sont complexes, je ne m’improvise pas ingénieur ou autre. J’appelle des contacts et ils m’aident à comprendre. Interpréter soi-même est dangereux.

R+ : Dois-tu garder pour toi certaines révélations faute de preuves ?

T. G. : C’est très fréquent. Quelqu’un m’appelle : « ah ! Il y a ce scandale, là. » La personne a l’air crédible. Je regarde son historique : elle a été employée de la ville. Mais je dois avoir deux ou trois sources pour considérer qu’une information est béton. Quand je n’y arrive pas, je mets l’enquête en stand by jusqu’à ce que ça débouche. Mais ça arrive très souvent que les affaires n’aboutissent pas, [rires] ça fait partie du métier. Si tu as perdu un ou deux jours de travail, ça va. Pour mes collègues qui enquêtent pendant plusieurs mois, c’est frustrant… Mais l’important c’est que les informations soient vérifiées. Souvent, les médias se font la guerre pour diffuser des informations exclusives. Parfois, il faut revenir un peu sur terre et se dire que les gens s’en foutent de savoir qui est le premier à sortir une histoire. Il vaut mieux être le deuxième à dire quelque chose correctement que le premier à raconter une connerie.

R+ : Tu évoques la vérification des informations. Mais certains types de faits sont impossibles à vérifier, tu ne crois pas ?

T. G. : Oui, quand une source raconte un événement sans témoin, l’impliquant avec une autre personne, et que celle-ci raconte une histoire différente ou refuse de parler. Si un intervenant dit blanc et l’autre noir, on peut présenter les deux versions. Si une seule source s’exprime, le rédacteur en chef prend la décision de la diffusion en fonction de la crédibilité qu’il attribue à cet interlocuteur (il y a des techniques).

Quand quelqu’un profère une accusation que tu ne peux pas prouver et qui peut te faire accuser de diffamation, tu dois parfois laisser ce sujet de côté. Mais il ne faut pas non plus que notre agenda de diffusion soit contrôlé par les gens qui se taisent. Certains de mes collègues se font encore avoir par ça ! On peut décider d’aller de l’avant, que certaines sources s’expriment ou non, si on a des documents ou en cherchant d’autres intervenants à même de corroborer nos informations. Puis à la diffusion, on peut évoquer un refus de prendre la parole.

R+ : Le journalisme d’enquête est un métier exigeant. Quelle est ta qualité de vie personnelle ?

T. G. : Certains de mes collègues arrivent au travail à 9h et repartent à 17h. Je fais de l’enquête alors je reçois des appels le matin et le soir. Mais je n’ai pas encore d’enfant et j’ai envie de vivre de façon passionnée. Je travaille donc beaucoup. Mais j’ai décroché ce week-end. Je passe aussi des soirées avec ma blonde. J’ai toujours plusieurs histoires en cours mais je suis quand même chanceux. J’ai un bon salaire, je travaille du lundi au vendredi. Moi, j’ai choisi de m’investir beaucoup. Libre à chacun de le faire. C’est sûr que celui qui décide de rester en pilote automatique ne sera pas récompensé en étant envoyé spécial par exemple.

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